Photo paysage suisse avec drapeau

Le système éducatif et la laïcité en Suisse

Publié le 23 septembre 2022

picto entretien Quelles sont les spécificités des relations entre l'État et les cultes, entre l'École et les cultes, en Suisse ? Voici un bref entretien rédigé par les auditeurs du cycle annuel 2021-2022.

pictogramme quizz entretien Entretien flash

4 questions à Andrea Rota,
Assistant Professeur, Institute for the Science of religion, université de Berne (Suisse).

 

picto dialogue Peut-on parler de laïcité en Suisse, que signifie le terme ?

La Suisse n’est pas un État laïc. Il faut rappeler qu’il s’agit d’une Confédération (Constitution du 18 avril 1999) autour de 26 cantons. Le préambule du texte fait référence à la toute-puissance de Dieu.  

Deux cantons s’affichent laïcs : Genève depuis 1907, Neuchâtel depuis 1947. Toutefois, la conception de la laïcité est opposée à celle défendue en France : proche de la conception anglo-saxonne, elle vise à garantir l’autonomie de l’Église par rapport à l’État. Cependant, au cours de l’histoire, notamment dans les cantons francophones, la conception tend à se rapprocher de la France. Finalement, le modèle suisse cherche un équilibre entre État et religions.  

Le cas genevois permet de comprendre le rapport de la Suisse avec le terme. Historiquement, aucun texte (législatif notamment) ne le contient. Or, l’interdiction par exemple du port du voile nécessite une base juridique suffisante. Le terme est alors introduit sans toutefois que ne soit réglée l’ambiguïté liée à la reconnaissance dans ce même canton d’une contribution, certes volontaire pour le citoyen, vers les trois églises reconnues. Cette introduction est fortement politisée notamment par certains partis politiques, par la question de l’islam et de sa visibilité (à rapprocher des phénomènes d’immigration engendrés par exemple par la guerre en Ex-Yougoslavie).

picto dialogue Quelle est la relation des Suisses avec le religieux ?

L’existence d’un phénomène sociétal fait l’objet de recherches récentes et semble plutôt révéler une relation ambivalente. Environ 10 % de la population estime que la religion est détestable. 10 autres % affichent un attachement fort à la religion, voire lui attribuent une place prépondérante dans la caractérisation de leur identité (notamment évangélisme). Pour la grande majorité, la relation est distanciée, la religion apparaissant comme parée d’exotisme (nous pouvons citer ici la part qui ne pratique pas régulièrement mais qui pourrait s’y rendre pour Noël ou pour faire baptiser l’enfant). Cependant, elle reste un élément important de la culture du pays. L’hypothèse [que je défends] permet d’appréhender les effets des réformes de l’enseignement religieux, qui peuvent satisfaire la majorité suisse : s’il ne s’agit pas de catéchisme, le religieux conserve sa place dans la société par ruissellement constant, bénéficiant des réformes de l’enseignement confessionnel comme vecteur de promotion.  

picto dialogue Existe-t-il une séparation des pouvoirs politique et religieux en Suisse ?

En Suisse, la gestion des rapports entre l'Église et l'État est du ressort des cantons. C'est une des marques du fédéralisme helvétique ! Une séparation de l'Église et de l'État existe bien au niveau fédéral depuis 1848 mais le préambule de la Constitution fédérale commence par : "Au nom de Dieu tout-puissant !". Le texte laisse néanmoins une grande liberté individuelle aux citoyens concernant leurs croyances et modes de vie. 
Son article 15 précise :  

  • la liberté de conscience et de croyance est garantie ;
  • toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté ;
  • toute personne a le droit d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir et de suivre un enseignement religieux ;
  • nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux.  

La situation a failli changer en 1980 avec l'initiative populaire en faveur d'une "séparation complète de l'État et de l'Église". Les initiateurs remettaient en cause le statut de droit public qui pouvait être accordé à certains cultes par les cantons, un statut qui permet un financement public. L'existence d'Églises officielles viole selon eux la liberté de croyance. Le texte a finalement été rejeté par la totalité des cantons et les 78,9 % de la population.

picto dialogue Quelle est la place de l’enseignement religieux à l’école ?

Le temps consacré à la religion dans les écoles suisses est relativement restreint. En revanche, c’est l’importance symbolique accordée qui a changé. Depuis une dizaine d’années, on considère que la religion est un sujet important, que tous les élèves doivent connaître, et qu’ils doivent avoir la possibilité d’en discuter en classe. C’est ça le grand changement.

Cette évolution s’est opérée de manière progressive à partir des années 1990. D’un côté, plusieurs cantons avaient remarqué que l’enseignement religieux, géré par les Églises, était en perte de vitesse. De l’autre, on assiste, à la même période, à une prise de conscience de la place de la religion dans la société.

Cette tension s’est révélée être un défi pour la cohabitation pacifique des individus ayant différentes croyances et pratiques religieuses. Mais le souhait de donner à comprendre de quelle manière la religion, ici le christianisme, a façonné notre culture et nos mœurs.  

C’est un processus fascinant. Si chaque canton a eu son propre processus indépendamment des autres, tous ont abouti plus ou moins au même résultat, soit l’introduction d’un cours sur la religion. Quant aux principaux acteurs, on constate qu’il s’agit souvent de personnes actives à l’intérieur des Églises reconnues, mais aussi dans l’enseignement. Ce n’est donc pas un mouvement qui s’est fait contre elles.

Les Églises reconnues ont toujours eu le souci d’être au service de la population dans son ensemble. Or, dans le domaine de l’enseignement religieux, certains cléricaux se sont aperçus que cette offre pour tous n’était plus donnée. Il fallait donc changer l’offre : passer d’un enseignement religieux à un enseignement sur les religions.

C’est alors qu’il est devenu obligatoire… puisqu’il ne s’agit plus d’un enseignement religieux. Plusieurs cantons ont décidé que ces cours n’étaient plus sujets à dispense.  

L’enseignement du fait religieux est destiné à l’ensemble des élèves, parle de toutes les religions, de façon neutre sous la responsabilité exclusive de l’état. Il est le résultat d’un compromis très suisse. Il est d’abord défini par ce qu’il n’est pas : confessionnel, catéchétique, donné par les Églises. Du côté de ce qui est permis, c’est une zone grise : on navigue entre un enseignement qui n’est ni catéchétique, ni, à l’inverse, antireligieux.

Selon les cantons, les Églises traditionnelles jouent encore un rôle en coulisse. Elles sont moins visibles au niveau institutionnel, mais encore bien présentes au niveau des idées, de la conception du matériel, de la pédagogie, et parfois aussi de la formation des enseignants.

Le contenu de cet enseignement dépend finalement de la sensibilité de l’enseignant. Pour les uns, la religion est un sujet d’étude comme un autre. C’est une perspective des sciences des religions, qui la regardent comme un fait social, anthropologique et historique. Pour les autres, elle est perçue comme une ressource pour les élèves et la société en général. Le but étant que l’élève puisse trouver dans l’une ou l’autre de ces religions des moyens de répondre à ses questions existentielles, comprendre le monde, trouver du sens.

 

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