L’expérimentation… et une direction "simplement" en appui

Publié le 09 novembre 2021

Bien plus que l’invocation abstraite d’un management participatif ou d’un processus de changement, se joue la vérification par tous, dans les aspects les plus quotidiens des relations, d’avoir affaire à une personne, avec laquelle la discussion est possible, sur des bases concrètes. C’est aussi le fait que tout cela n’exclut pas, voire exige, des règles et des limites, comme conditions de stabilisation des attentes mutuelles. Ou encore des ressources, de la préparation, de l’organisation. Et surtout cela donne l’occasion à tous d’exercer régulièrement une réflexivité individuelle et collective et d’en tirer profit.
Le témoignage se poursuit. Où l’on vérifie que rien n’est définitivement acquis et qu’une direction ne dicte pas souverainement le changement des convictions professionnelles.

 

Pascal Ughetto

Professeur à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée
Ses recherches, au sein du Laboratoire Techniques, territoires et sociétés (LATTS), portent sur les transformations du travail dans les secteurs publics, privés et associatifs.
Membre de plusieurs conseils scientifiques, dont celui de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), ainsi que celui de l'observatoire des cadres et du management qui est un lieu de veille et d’études sur le travail des cadres et les outils de management. Dans son dernier ouvrage paru en 2018 et qui s’intitule "Organiser l'autonomie au travail", Pascal Ughetto fournit un cadre théorique et pratique qui permet de comprendre et de mettre en place les meilleures organisations pour le travail de demain : il pose les questions de l'autonomie, du besoin d'organisation et de contrôle.  

Portrait de Pascal Ughetto

 

De l’art d’amener une équipe à aimer son auto-évaluation

"Je me suis positionnée comme une simple aide pratique", nous dit la cheffe d’établissement : à nouveau, la posture affichée de modestie dans l’exercice du rôle managérial joue comme une condition de possibilité. Un enjeu, à ce stade du témoignage, est, pour la cheffe, de voir les équipes pousser plus loin la réflexion sur ce que vise l’exercice de leur métier, sur la façon dont ils peuvent juger qu’ils ont réellement produit des résultats ou des effets par leur travail : des résultats très tangibles voire flagrants comme certains taux de réussite scolaire et des notes élevées mais aussi d’autres résultats, moins faciles à percevoir. Cette réflexion sur les performances du travail n’est finalement rien d’autre que ce qu’appellent de leurs vœux certains observateurs sous le terme "d’auto-évaluation".

Ajuster l’auto-évaluation au contexte local pour l’appropriation collective

L’évaluation est souvent introduite et vécue comme un contrôle : elle est prescrite, n’est réalisée qu’une fois, fournit une image statique. Elle prend du temps pour, avant toute chose, être centrée sur le rendre-compte. Elle est basée sur un cadre rigide, utilise un minimum de critères, mais prédéterminés. Elle peut détourner les individus de l’enseignement et des apprentissages, mais elle sert principalement à éviter les risques. Ce que le témoignage de la cheffe d’établissement laisse entrevoir est la possibilité d’une conception de l’auto-évaluation comme levier de développement professionnel. Elle relève alors de principes et de modalités symétriques ou opposés. Elle se construit par le bas. Elle est continue, elle est un processus, offre une image dynamique. Elle est économe en temps ou, du moins, ce n’est pas du temps perdu, au seul bénéfice d’une instance de contrôle. Elle est centrée sur la dynamique de changement, de façon flexible, ajustable. Elle crée ses propres critères. Elle améliore les enseignements et les apprentissages. Elle permet la prise de risque.
L’évaluation comme contrôle aboutit trop souvent à ce que les équipes, découragées, ne supportent plus des directions les appelant à reconsidérer leurs pratiques. L’enjeu d’une auto-évaluation comme développement professionnel et apprentissage organisationnel est de reconnaître les pratiques pour mieux les développer, y compris les transformer. Elle peut prévenir une situation de crise, permettre à l’établissement de reprendre la main sur son image et sa réputation, échanger avec ses partenaires, préciser le ressenti. Elle permet d’améliorer le fonctionnement de l’établissement, de trouver les leviers pour progresser et modifier les postures.

Ce que le témoignage de la cheffe d’établissement laisse entrevoir est la possibilité d’une conception de l’auto-évaluation comme levier de développement professionnel.

Beaucoup de chefs d’établissement tendent à se poser les questions : faut-il ou non partir du diagnostic ? Partager le diagnostic avant de commencer l’auto-évaluation ? Il s’agit surtout de se mettre en capacité de caractériser l’identité de l’établissement, de prendre du recul, de contrebalancer des évaluations externes qui ne prendraient pas en compte les réalités du contexte local. L’évaluation prend son sens surtout quand elle devient formative et que, simultanément, elle donne au changement ses raisons d’être.
Encore faut-il trouver l’élément singulier qui produit du sens auprès d’une partie au moins des équipes, comme l’a été, dans le témoignage de la cheffe d’établissement, la sensibilisation aux neurosciences. Dans un autre établissement, la tentative n’aurait peut-être pas abouti. Dans le cas présent, le contexte a permis que les enseignants se sentent intéressés, tant et si bien qu’ils n’y ont pas vu une démarche d’évaluation-contrôle mais les possibilités d’une auto-évaluation imbriquée, voire dépendante d’autres enjeux de mobilisation et d’investissement personnel. Paradoxalement, pour la cheffe d’établissement, la condition de réussite de cette démarche de réflexion sur les postures pédagogiques, tout en analysant les forces et les faiblesses de la structure, est que les équipes s’emparent de la question des neurosciences en lui donnant une signification en propre.

Pour résumer, bien que complémentaires, deux choses méritent d’être distinguées :

  • Le diagnostic sur l’établissement, tout d’abord. Il incombe au chef d’établissement. L’évaluation interne : elle est le fait des équipes, quitte à ce qu’elle soit articulée avec des évaluations externes (inspection, audit, système statistique). L’enjeu est d’abord de créer une habitude de la mise en réflexion et en discussion, de gagner en objectivité, de faciliter le dialogue et de créer la confiance entre la communauté éducative, les autorités académiques et les partenaires locaux. Dans le témoignage de la cheffe d’établissement, on voit comment elle n’estime pas pouvoir agir seule, mais elle préfère mobiliser des acteurs divers, dotés d’une autre autorité et légitimité, qui facilitent la discussion sur les sujets, autorisant des expressions différentes, portées par des subjectivités singulières mais authentiques.
  • Nourrir le questionnement et le dialogue, pour ensuite décider d’une stratégie en commun, tel est ce qui importe. Quand une démarche d’auto-évaluation est initiée, il convient en parallèle de prévoir des étapes-clés sans enfermer les individus dans une procédure trop formelle. C’est pourquoi la constitution d’un groupe en charge de la démarche d’auto-évaluation peut constituer un atout pour entretenir la dynamique et s’assurer d’une bonne articulation avec le projet d’établissement.