Lu pour vous : Aux sources de l’idée laïque. Révolution et pluralité religieuse

Publié le 22 septembre 2022

picto lu pour vous Recension de l’ouvrage Aux sources de l’idée laïque. Révolution et pluralité religieuse, de Rita Hermont-Belot

Couverture de l'ouvrage Aux sources de l’idée laïque. Révolution et pluralité religieuse, de Rita Hermont-Belot

 


À propos de : Aux sources de l’idée laïque. Révolution et pluralité religieuse, de Rita Hermont-Belot
Éditions Odile Jacob, Paris, 2015, 267 pages.

Rita Hermont-Belot, historienne, est directrice d'étude à l'École des hautes études en sciences sociales et dirige la chaire "Pluralité religieuse et laïcité dans l'histoire, XVIIIe-XXe siècle". Elle s'intéresse à l'histoire religieuse et politique française en prenant comme objet d'étude la pluralité religieuse avec une approche globale et interactionnelle entre le statut et le destin des différentes confessions présentes dans la société française et les effets de leur évolution sur celle-ci.


Recension d'ouvrage réalisée par Pierre Kassas, auditeur du cycle annuel de l'IH2EF 2021-2022, IEN - conseiller technique 1er degré auprès de la rectrice de Bordeaux.

Intérêt majeur de cette lecture pour un cadre

Chaque cadre qui se retrouve confronté, dans son contexte territorial et dans son champ d’expérience, à l’analyse d’une question ou d’un fait relevant de la laïcité ne peut faire l’économie de comprendre les enjeux de ce principe, dont le cœur est la problématique de la séparation du politique et du religieux. Or ces enjeux sont à replacer dans le contexte historique. C’est une ambition que porte Rita Hermont-Belot en situant la période de la Révolution française comme la première expérience d’une pluralité religieuse dans un espace s’ouvrant aux prémices de la démocratie entre individus et en y analysant les voies de cette construction à travers une synthèse historiographique.

Comprendre les enjeux du principe de laïcité à l’aune du contexte historique 

L’ouvrage de Rita Hermont-Belot est un appui riche pour comprendre pourquoi il nous faut remonter jusqu’au XVIIe siècle pour situer la problématique de la laïcité. Dans un contexte où depuis les années 1990 des voix s’élèvent et des voies se dressent pour affirmer la menace que constituerait pour la laïcité la coexistence des religions et notamment celles relevant de cultures différentes, la lecture de cet ouvrage - qui permet de comprendre les ressorts discriminatoires pouvant être empruntés pour qui s’engouffrent dans ces voies - nous plonge dans une analyse des effets de la pluralité religieuse sous la Révolution française. Ces effets se situent entre harmonie et conflit, allant d’une organisation de la diversité des expressions religieuses avant 1793 à des positions plus affirmées d’hostilité, où sont condamnées non pas les pratiques religieuses, mais les expressions et comportements pouvant menacer la cohérence de la société civile. Cet ouvrage permet également de comprendre comment, sous la Révolution française, se sont transformées les expressions dans lesquelles se posent la question de la coexistence des religions et comment peut être considérée la pluralité religieuse en France.

L’auteur situe la révolution française comme une étape décisive - un "moment inaugural et matriciel" (p. 223) dans l’évolution des idées qui va mener progressivement vers la séparation des Églises et de l’État, pour que les premières ne s’occupent plus des affaires du second tout en disposant d’espaces de liberté de leur expression : "la Révolution a ancré à jamais la liberté religieuse en France dans des droits individuels, donc universels" (p. 223).  

L’auteur nous propose une analyse rigoureuse - laquelle contribue à apporter un regard renouvelé sur la laïcité française et son histoire - de la pluralité religieuse comme enjeu social majeur en France sous la révolution, dans un contexte de guerres de religions où le protestantisme a confronté le christianisme à une problématique nouvelle.

Une synthèse historiographique de la période révolutionnaire pour analyser les sources de la laïcité en France

L’analyse portée par Rita Hermont-Belot repose sur une synthèse de l’historiographie pour situer les sources de la laïcité, son fondement originel dans cette période de dix années de la Révolution française. Cette analyse historiographique s’articule autour de la problématique de la liberté de l’exercice de la religion quelque qu’elle soit dans la sphère publique où la Constituante a défini la liberté des cultes, créant une rupture nette avec la monarchie absolue imposant l’intolérance religieuse, et ouvrant un espace de dialogue inédit dans le monde. Ce moment révolutionnaire est déterminant dans l’évolution des idées au cours du XVIIIe siècle où se construit progressivement dans l’univers mental de la société l’idée de séparer le politique du religieux et où se pose le problème de la traduction politique du principe constitutionnel de séparation.

Si la laïcité établit une frontière entre sphère publique et sphère privée – principe qui la régit dans notre contexte actuel - cette frontière a vu naître ses fondations pendant le moment révolutionnaire, entre 1789 et 1793, sans être achevée. L’Assemblée nationale pose, dans cette première période révolutionnaire, les fondements de la liberté religieuse, tout d’abord ancrée dans les droits individuels, et donc universels. La Révolution accorde à l’État des prérogatives inédites : la conduite des affaires au sein de la sphère publique, la sécularisation de l’instruction publique… La pensée de Condorcet s’inscrit dans l’idée de séparer la morale universelle de tout rapport avec les opinions religieuses.  

La loi de 1905 dans son article 1er reconnaît la liberté religieuse : "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public". Elle prolonge ainsi l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui consacre la liberté d’opinion, même religieuse. Rita Hermont-Belot revient dans les deux premiers chapitres de son livre sur le projet de la Révolution d’ériger la liberté des cultes, permettant à ceux-ci de s’inscrire comme des interlocuteurs reconnus de l’État pour les affaires religieuses, en prolongement d’une analyse stimulante des discussions à l’Assemblée nationale autour de cet article 10 de la Déclaration et qui attribue des droits égaux à tous les Français sans différenciation religieuse, établissant ainsi la liberté de religion.

Un récit chronologique de la période révolutionnaire et de l’évolution des idées qui la parcourent comme prémices de ce qui mènera progressivement vers la séparation 

L’analyse de Rita Hermont-Belot s’enrichit également de la démarche du récit historique, notamment parce qu’est ainsi posée une chronologie des débats autour de la pluralité religieuse structurée en six chapitres. Le premier moment, que l’auteur nomme "L’inauguration", se centre autour des débats à l’Assemblée nationale qui ont conduit le 23 août 1789 à l’adoption de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Rita Hermont-Belot propose une analyse - certes brève - des différents cahiers de doléances où l’existence d’une pluralité de religion dans des territoires apparaît comme invisible sous le poids du catholicisme. Cette analyse se prolonge par une réflexion originale - notamment parce que très actuelle - portée par l’historienne des débats au sein de l’Assemblée nationale autour des droits civils des protestants et des juifs. L’auteur propose ensuite une analyse des débats autour de la notion de "liberté des cultes", paradigmatique de la rupture que constitue le moment révolutionnaire avec la royauté, et qui a conduit à des débats intenses tout au long de la première année de la Révolution autour de la visibilité à accorder à toutes les pratiques religieuses dans la sphère publique. En juillet 1790, la Constituante adopte les réformes religieuses dans le cadre de la Constitution civile du clergé qui s’impose à tous, laquelle permet l’exercice de la liberté des cultes. Celle-ci ne cessera d’être renforcée par les parlementaires jusqu’en 1792 dans son caractère universel, au sein d’une société, rappelons-le, encore habitée par l’intolérance religieuse du XVIIIe siècle. A partir de 1793, la crainte d’un mouvement de déchristianisation, concept qui ne fait pas consensus au sein de la communauté des historiens de la Révolution française, compte tenu de la recherche d’égalité entre les cultes, renforce les arguments des parlementaires opposés à la liberté des cultes. Le récit se termine par la tentative d’instauration d’une religion civile qui fut un échec politique de 1794 à 1799.

Une pluralité religieuse, entre quête d’harmonie entre les individus et opposition entre droits individuels et droits collectifs.

Rita Hermont-Belot met en perspective des débats toujours actuels sur les conditions de l’exercice de la pluralité religieuse, dont les contours au sein de l’espace public ont commencé à être tissés lors de la Révolution française. Les cahiers de doléances ont révélé qu’au sein du royaume, les individus ne pensait pas la question de la pluralité religieuse, même si des religions coexistaient, compte tenu de la position dominante du catholicisme. La Déclaration de droit de l’homme et du citoyen ouvre un espace légal unique pour toutes les religions et permet à celles-ci de sortir de la confidentialité. Mais poser la quête de l’universalisme dans l’évolution de l’idée de séparation entre le religieux et le politique ne signifie pas, d’une part, son approbation par des cultes encore imprégnés de droits collectifs comme au sein de la communauté juive, et ne conduit pas à l’exercice visible de la pratique religieuse de l’ensemble des cultes, les parlementaires n’étant eux-mêmes pas encore convaincus de cette possibilité.   

La pluralité religieuse est pensée par Rita Hermont-Belot comme un enjeu majeur de société comme l’illustrent les discussions entre parlementaires autour des mesures à prendre à l’encontre des prêtres refusant de prêter serment à la loi. La liberté de culte érigée comme universelle n’est donc ni ancrée dans l’univers mental collectif et ni consensuelle au sein de la société, ouvrant de fait la voie à une contestation de celle-ci après 1793. L’universalisme entre citoyens ne peut donc se vivre dans la religion. C’est pourquoi la tentative de mettre en place une religion civile par la Révolution à partir de 1794 a échoué, ce qui a contribué à inscrire la question de l’universalisme dans le champ politique, contribuant ainsi à orienter l’évolution des esprits vers l’idée de séparation entre le religieux et le politique.

La richesse de la réflexion de Rita Hermont-Belot et son écho dans nos débats actuels est de démontrer les difficultés qui émergent des divergences d’opinions, certes entre groupes religieux, mais au sein même des différentes communautés - calviniste, luthérienne, janséniste, juive sous la révolution française - et justifient la nécessité de prendre en compte leurs caractères propres au regard de ce que l’opinion connaît de leur fonctionnement réel pour mieux comprendre les tensions au sein de notre société.

 

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