Lu pour vous : Vers la fin d’un management instrumental et financiarisé ?

Publié le 03 mai 2022

Recension de l'ouvrage "Management humain. Une approche renouvelée de la GRH et du comportement organisationnel" écrit par Laurent Taskin et Anne Dietrich.

Management Humain - L.Taskin, A.Dietrich - couverture du livre


À propos de : Management humain. Une approche renouvelée de la GRH et du comportement organisationnel
2e édition, De Boeck Supérieur, janvier 2020
1ère édition, De Boeck Supérieur, mars 2016


Cet ouvrage, écrit par Laurent Taskin, professeur à la Louvain School Management, et Anne Dietrich, professeure en sciences de gestion à l’IAE de Lille, s’inscrit dans la collection "Manager RH". Il s’agit d’une collection qui se veut avant tout pragmatique et en phase avec les interrogations des managers RH aujourd’hui.


Recension d'ouvrage réalisée par Zélia Bauduin, Céline Merenvielle, Louise Pondard, Juliette Pucel-Bastié (étudiantes du Master 1 Management de l’Innovation IAE Lille).

Quelques mots sur le contexte de l'édition

Comme l’exprime Pierre-Yves Gomez (Professeur à l’EM Lyon Business School) dans la préface du livre, les auteurs "proposent de redonner à la gestion des ressources humaines son sens et sa raison d’être et à ceux qui sont en charge de valoriser ces ressources, les managers donc, de renouveler la compréhension de leur mission et de leurs responsabilités". L’objectif de ce livre est d’apporter un nouveau regard sur les pratiques de GRH, en relevant les limites de la GRH traditionnelle. Il nous invite à retrouver ce qu’il y a d’humain dans le travail afin de comprendre et reconnaître que sans le soin apporté à ceux qui travaillent, l’entreprise n’est pas économiquement durable. L’ouvrage, au-delà de la réflexion théorique qu’il propose, s’appuie ainsi sur une analyse de données empiriques et historiques. 

Le livre se structure en 5 grands chapitres:

  • Un premier chapitre définit le management humain et les transformations du travail.
  • Un deuxième chapitre revient sur les fondements du management humain.
  • Les trois chapitres suivants, qui constituent le cœur de l’ouvrage, abordent successivement la motivation au travail, le rôle de la GRH en tant que fonction de gestion et le lien individu-organisation. 

Les deux premiers chapitres s’intéressent à une approche renouvelée de la GRH et du comportement organisationnel tandis que les trois derniers chapitres nous livrent les dimensions essentielles de la gestion humaine des entreprises. Sur un plan méthodologique ils présentent les théories et perspectives traditionnellement mobilisées, les débats critiques dont elles ont fait l’objet ainsi que les théories et perspectives soutenant la vision proposée du management humain. Chaque chapitre s’appuie sur une approche historique pour décrire les évolutions de la fonction ressources humaines et des théories du comportement organisationnel qui les sous-tendent. Sont ainsi réunis dans un même ouvrage deux champs de connaissances et de pratiques souvent séparés dans les manuels de formation.

Une approche historique du contexte et des acteurs de la GRH

Le premier chapitre, à travers une perspective historique, permet d’offrir aux lecteurs une compréhension du contexte et des acteurs de la GRH et du comportement organisationnel. Cette contextualisation permet de mieux comprendre l’évolution des théories et des pratiques en GRH et comportement organisationnel.  

Dans un premier temps, nous découvrons le contexte d’émergence et de développement de la GRH et du comportement organisationnel, de la logique professionnelle à la logique agile. La mondialisation de l’économie de marché, l’élargissement des frontières géographiques, la financiarisation des échanges, la diffusion des TIC et outils informatiques dans la gestion des entreprises, sont autant d’éléments qui ont favorisé l’émergence et le développement de nouvelles approches de la GRH et du comportement organisationnel. Depuis les années 2000, jusqu’à aujourd’hui, la réflexion stratégique des entreprises a grandement évolué. Il y a une prise de conscience de l’importance des nouveaux modèles économiques et sociaux qui posent le défi de la transition énergétique. Nous avons également pu assister au développement de l’individualisation (individualisation de la rémunération, évaluation du personnel, gestion des compétences sur la performance individuelle). Les frontières de l’organisation sont alors de plus en plus floues : les formes d’emplois atypiques se multiplient (intérim, contrat d’insertion ou d’apprentissage). Nous assistons également à une hybridation des entités organisationnelles (sous-traitance, externalisation). Dans un deuxième temps, les lecteurs peuvent découvrir les limites d’une représentation historiciste. L’analyse historique du développement de la GRH se fait au regard des évolutions économiques, sociales, politiques et organisationnelles de la société. La GRH est le résultat des transformations du travail. Cependant, nous avons tendance à toujours présenter les choses comme étant universelles. Cet universalisme est de 3 types : géographique, temporel, déterministe (qui suppose une relation de cause à effet entre le progrès économique et le progrès social). Cette approche ne prend pas en compte les interactions entre les institutions (état, patronat, syndicat, pouvoirs publics) ni la dynamique politique.

Une approche heuristique pour définir les fondements du management humain

Le deuxième chapitre se focalise ainsi sur les fondements du management humain. Ce chapitre nous permet de comprendre les trois ensembles de critiques adressées à la gestion traditionnelle des ressources humaines. La gestion de l’entreprise et les modèles qui sont développés pour la pratiquer sont aujourd’hui remis en question. En effet, la GRH traditionnelle n’est plus adaptée aux réalités contemporaines du travail, des organisations et de la société. Ce qui a été précédemment montré dans le premier chapitre concernant l’évolution contemporaine de la société, des modes d’organisation du travail et des attentes des individus montre des bouleversements majeurs (digitalisation, transition énergétique, sociale, politique, individualisation, recherche de sens…). Ces bouleversements touchent aussi les entreprises et affectent la manière dont elles organisent le travail et gèrent les personnes. Des voix intellectuelles s’élèvent pour dénoncer les limites d’un capitalisme et d’un management financiarisé peu propices à la reconnaissance du travail. Les citoyens aussi aspirent à la justice et ont des attentes fortes (égalité, respect). Le management Humain apparaît alors comme une alternative. 

Une approche en termes de sens au travail pour aller au-delà des approches motivationnelles 

Le troisième chapitre nous offre un voyage passionnant entre les problématiques motivationnelles au travail et le sens du travail. La question de la motivation a été abondamment étudiée en opposant pendant longtemps les théories dites de "contenu" et celles dites de "processus". Les lecteurs peuvent découvrir les nombreuses acceptions que peut revêtir le concept de motivation. La première partie de ce chapitre nous permet d’avoir une vue exhaustive sur les différentes théories de la motivation dans les champs de la psychologie et de la psychosociologie.  

La deuxième partie de ce chapitre nous invite à nous questionner sur les limites de ces théorisations et à nous interroger sur la pertinence même du concept de motivation. On y apprend que les théories de la motivation s’appuient généralement sur un "individualisme exacerbé", une "rationalité instrumentale" et qu’elles ne prennent pas en compte les ambivalences de l’être humain. Ces approches sont beaucoup trop mécaniques, linéaires et schématiques et donc réductrices.  

La troisième partie nous permet de faire le lien entre motivation au travail et sens du travail. Dans ce chapitre, nous y apprenons que le sens au travail se construit à partir de la triple expérience que fait chacun du travail : objective, subjective et collective.

D’une GRH centrée sur la création de valeur à un management humain valorisant le travail

Le quatrième chapitre présente tout d’abord les objectifs et les rôles d’une GRH centrée sur la création de valeur pour l’entreprise, l’augmentation de la productivité des travailleurs et la flexibilité de l’organisation. Lorsque l’entreprise n’est pas uniquement focalisée sur la création de valeur pour l’actionnaire, la fonction RH peut favoriser un management propice à la création d’une culture de la reconnaissance via la prise en compte du contexte et des attentes des différentes parties prenantes. A ce titre, il existe trois étapes majeures dans la définition d’une stratégie RH : la prise en compte des tendances de fond pouvant affecter l’activité de l’organisation, l’identification des différentes parties prenantes, leurs attentes, les réponses à y apporter et l’imbrication des enjeux majeurs pour l’entreprise. La performance de l’entreprise est plurielle, elle ne se limite pas à la performance financière. Nous découvrons que les éléments non-monétaires semblent avoir un effet plus marqué sur la reconnaissance au travail que les éléments monétaires. En effet, il y a un besoin important de sens au travail. Dans ce chapitre, nous découvrons trois ensembles de pratiques associés à la reconnaissance : les systèmes de rémunération, l’évaluation de la performance et la gestion des carrières et des mobilités.

Un retour sur les liens entre Individus et Organisations (contrats de travail et culture organisationnelle)

Le cinquième chapitre traite du lien entre l’individu et l’organisation. Ce lien est abordé comme une relation contractuelle entre employeur et employé à deux niveaux :

  1. contrat de travail (contrat psychologique)
  2. relation d’appartenance à une communauté (collectif de travail et culture organisationnelle).

Ces deux approches permettent d’analyser les rapports de dépendance et d’interdépendance qui régissent le monde du travail.

L’étude de la culture organisationnelle montre qu’il n’existe pas une seule et unique culture, mais une diversité de cultures dans les entreprises. La culture n’est donc pas universelle, elle est dynamique et évolue constamment. Elle est construite par les salariés et les individus eux-mêmes, en fonction de leurs comportements. Si ce chapitre analyse les limites de ces approches et leurs difficultés à penser conjointement l’individuel et le collectif, il souligne la complexité des liens organisationnels et leur encastrement dans des contextes sociopolitiques et technico-économiques.  

Pour autant ces approches ne questionnent pas l’entreprise elle-même et ne remettent pas en cause le fait de privilégier la rentabilité à court terme pour les actionnaires au détriment des salariés. C’est pourquoi, pour un certain nombre d’auteurs, il est temps de "repenser l’entreprise" afin de reconstruire une communauté de travail créatrice de valeur et propice à un Management Humain. Après avoir questionné le concept d’entreprise, ses défaillances en termes de gouvernance et ses insuffisances sur les plans théoriques et juridiques, l’ouvrage retient deux propositions : le fait d’accroître les potentiels d’innovation et le principe de solidarité (avancées par Segrestin et Hatchuel, 2012). Ce chapitre nous propose une réflexion sur les moyens de refonder une gouvernance plus humaine, en proposant de définir la communauté de travail comme un réseau d’acteurs et d’objets techniques.

Les intérêts et limites de l’ouvrage 

De par sa construction claire et sa lisibilité, ce livre plaira à tout public : des cadres d’entreprises aux chercheurs, des enseignants aux étudiants, à tous ceux qui veulent réfléchir à une approche renouvelée de la GRH et du management. En effet, les auteurs opèrent un travail systématique de présentation des approches traditionnelles, des approches critiques afin de mettre en évidence leurs paradoxes et limites. Cela permet au lecteur de se les approprier et d’entrevoir des perspectives nouvelles et alternatives, de la conception du travail à la conception de l’entreprise.   

Pour assurer un management humain, l’ouvrage préconise aux cadres de responsabiliser et accompagner leurs équipes, de faire émerger de nouvelles compétences et de libérer la créativité des salariés pour qu’ils deviennent des acteurs à part entière de l’entreprise. De même il souligne la nécessité non seulement de développer les compétences individuelles mais de soutenir et favoriser le développement des compétences collectives propices à davantage de solidarité.

De nombreux tableaux synthétisent les idées abordées et de multiples schémas et graphiques viennent clarifier des propos parfois théoriques, ce qui facilite leur assimilation par le lecteur.  Dans chaque chapitre, le plan est bien visible, le contenu bien structuré et découpé, ce qui permet de suivre une ligne directrice et donc de ne pas perdre le fil. Il manque cependant à cette édition des cas concrets d’entreprises ayant mis en œuvre les pratiques de GRH préconisées par Laurent Taskin et Anne Dietrich. 

Ce livre permet de comprendre la nécessité et les enjeux d’un management plus humain. Il propose de le fonder sur quatre conditions : 

  1. contextualiser et rejeter l’universalisme,
  2. aborder le travail dans sa pluridimensionnalité,
  3. réaffirmer la centralité de l’être humain dans la GRH,
  4. se donner une finalité : la reconnaissance du travail.