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[Deux intervenants, dont Thierry BOSSARD, face à l'assistance. Derrière les intervenants, un grand panneau]

ESEN[ (logo)]

Ecole supérieure de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche

Thierry BOSSARD :

Merci de cette invitation à l'ESEN. J'ai toujours plaisir à venir. Je voudrais commencer par vous féliciter. Vous féliciter de votre réussite au concours, mais surtout et d'abord, vous féliciter d'avoir choisi de vous engager

dans des fonctions d'encadrement. Et c'est sur ce thème que l'ESEN m'a invité à traiter du sujet intitulé le cadre

dans le système éducatif. Alors, pourquoi y a-t-il un problème ? Quelle est la nature de la problématique ?

[Plan rapproché sur Thierry BOSSARD et présentoir devant son micro]

Thierry BOSSARD

IGAENR

D'abord, on pourrait se demander pourquoi réfléchir sur le sujet : cadre dans le système éducatif. Si on raisonne au sens des catégories socioprofessionnelles, pratiquement tout le monde relève des catégories socioprofessionnelles de cadres dans l'Éducation nationale, compte tenu du niveau de recrutement de l'ensemble des personnels. Donc il ne s'agit absolument pas évidemment, de cette catégorie socioprofessionnelle de cadre. Il s'agit d'autre chose. Il s'agit de la fonction d'encadrement. Premier point. D'abord, un point historique. Je crois toujours à l'importance et au rappel de ces éléments historiques, car nous sommes dans un ministère de la longue durée, et que le présent, souvent, s'explique justement par des évolutions historiques. D'abord, la notion de cadre est une notion relativement récente dans l'Éducation nationale. Relativement récente dans l'Éducation nationale, et plus globalement dans le milieu de l'enseignement, que ce soit l'enseignement primaire ou secondaire, voire l'enseignement supérieur. Milieu qui se conçoit spontanément, assez spontanément, comme étranger, ou en tout cas méfiant vis-à-vis du concept d'encadrement. L'encadrement qui a longtemps été vécu, même parfois, il faut le dire, encore ressenti comme étant au fond une contrainte potentielle vis-à-vis de la liberté pédagogique ou, pour l'enseignement supérieur, des franchises universitaires. Pendant longtemps, on peut dire que le système d'enseignement s'est accommodé d'un pouvoir scolaire qui était d'autant plus accepté qu'il était lointain, et qu'il s'occupait au fond essentiellement de l'intendance. Et ce qui servait de cadre, c'était au fond des cadres réglementaires généraux qui faisaient, d'ailleurs, que notre éducation est nationale. Donc c'était plutôt le cadrage général réglementaire, et puis, le creuset qui faisait l'unité de la formation. L'école tant vantée de la Troisième République, l'école des hussards noirs, l'école, au fond, c'était une école où on était des pairs et où, au fond, il y avait des règles qui faisaient l'unité et la cohérence nationale, et des lieux, les écoles normales d'instituteurs et tout ce qui a joué le rôle de formation, qui jouait ce rôle de creuset, qui assurait la cohérence. Donc la notion de cadre, au fond, était assez absente dans cette vision traditionnelle. J'en prends un exemple, que j'aime à citer, surtout dans cette école, un exemple de l'histoire de l'institution scolaire. C'est la création de la première direction d'administration centrale qui porte sur l'encadrement qui date de 1986. C'est-à-dire que ça ne fait pas 30 ans. Ce qui pour nous et pour vous peut paraître lointain, mais ce qui, à l'échelle des temps d'évolution du système, est assez court. C'est en 1986 qu'a été créée la première direction qui s'appelait Direction des personnels d'inspection et de direction, à l'initiative de René Monory, qui avait créé trois directions simultanément. La simultanéité a son sens. Une direction des personnels d'encadrement, une direction de l'évaluation et de la prospective, dont vous connaissez toujours l'existence à travers le nom actuel, même si elle a vu son intitulé modifié en Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, et une direction de la communication. C'était le souci de René Monory de faire que cette grande institution qui est l'institution scolaire ait une politique en matière d'encadrement, en matière de prospective et d'évaluation, et une politique en matière de communication. Donc, 1986, création d'une direction des personnels. Première création dans l'administration centrale d'une direction qui porte sur l'encadrement. 1986, je le rappelle, c'est un an après 1985.

[Quelques rires discrets dans la salle] .Et 1985, vous le savez bien, puisque vous avez révisé, travaillé, pour préparer et réussir votre concours, c'est une date importante, notamment dans l'enseignement secondaire, puisque c'est l'institution de l'établissement public local d'enseignement, le fameux décret du 30 août, qui institue, après les lois de décentralisation, l'établissement public local d'enseignement. Établissement qui, en tant qu'établissement public, est évidemment doté d'une certaine part d'autonomie. Je rappelle qu'en France, tous les lieux d'enseignement ne sont pas des établissements publics puisque l'école n'est pas un établissement public. C'est un lieu d'enseignement public mais ce n'est pas un établissement public d'enseignement. 1985, création de l'établissement public d'enseignement, l'EPLE. 1986, c'est aussi, quelques années juste après les lois de décentralisation. C'est l'un des fils rouges qui explique justement le développement de la notion de cadre dans l'Éducation nationale. Deuxième élément, direction des personnels d'inspection, et des directions. Ce qui est important, c'est la conjonction. C'est le et. Inspection, et direction. C'est-à-dire qu'à la dichotomie classique entre les chefs d'établissement ou les directeurs et les inspecteurs, on entendait, je dirais, assurer une conjonction et une intervention conjuguées, et non pas séparées. C'est évidemment la question sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir, dans la dichotomie entre pédagogie et administration. Voilà deux fils rouges qui servent à suivre, qui permettent de suivre, les conditions d'apparition et de développement de la fonction d'encadrement dans l'Éducation nationale. Alors, le contexte aussi permet de l'expliquer. La décentralisation d'une part, mais aussi tout le phénomène de la massification du système éducatif. Première famille de raison, donc, tout ce qui a trait à la décentralisation et à la massification du système. C'est la reconnaissance de la diversité des situations. Le système éducatif français, pour être national, pour être souvent perçu de l'extérieur, pour être souvent caricaturé de l'extérieur, à travers sa vaste dimension qui avait conduit même à l'assimiler à un animal préhistorique qui avait du mal à se mouvoir, et à persister, nous le savons bien, nous qui y vivons, que derrière cette apparence, je dirais cette ampleur, c'est une variété, une très grande diversité de situations. Diversité des situations d'exercice. Je ne vous interrogerai pas sur le nombre d'écoles en France, sur le nombre de collèges, de lycées. Mais c'est le nombre de points d'exercice qui fait qu'ils ne sont pas tous identiques, ce ne sont pas des points qui sont à l'identique, d'application homogène de directives nationales qui s'appliqueraient seulement par application descendante et uniforme. Donc, c'est l'idée que le système est divers dans sa réalité et il est face à des situations diverses. Et que cette massification du système, pour se réaliser, elle s'est faite aussi, non pas simplement par expansion à l'identique, mais par restructuration interne. Quand l'allongement de la durée de la scolarité, conjuguée à l'augmentation du nombre d'élèves, a conduit à réorganiser l'enseignement secondaire, cela n'a pas été l'extension à l'identique. Cela s'est fait par diversification des voies de formation, la création de certains bacs technologiques puis la création du bac professionnel, donc, le système s'est développé, non pas en grossissant à l'identique mais en se diversifiant, dans son organisation, en devenant un système, justement. Premier élément, le système devait avoir des réponses qui soient plus adaptées et qui ne soient pas standardisées. Chose que vous connaissez bien, c'est pour rappeler le contexte. La deuxième chose, cette idée que le système ne se pilote plus uniquement du centre, par application descendante, même si certains le croient encore, de directives appliquées à l'identique partout. On peut tenter de le faire, mais le réel parfois résiste. Donc, cette idée qu'il y a besoin d'avoir, je dirais localement, dans les établissements et dans les académies, des cadres qui vont assurer cette intelligence des situations et cette cohérence nationale. Pas simplement par application mécanique, mais, je viens de le dire, par intelligence des situations. Deuxième élément, c'est évidemment la décentralisation. La décentralisation, c'est l'idée que l'école est un bien public mais qu'elle n'est pas la propriété exclusive de l'État. La décentralisation, cela a été pour l'État, c'est ça finalement la décentralisation, de laisser, d'abandonner, de confier à d'autres, en l'occurrence les collectivités locales, une partie des attributions qui étaient les siennes. On pense souvent aux questions relatives aux bâtiments, mais il y a bien d'autres choses, notamment tout ce qui est de l'ordre de la carte des formations, et puis, depuis, se sont ajoutées, soit par la loi, soit même par l'évolution des rapports entre l'État et les collectivités, bien d'autres tâches, bien d'autres responsabilités de la part des collectivités. Et l'idée, c'est non seulement qu'il faut des responsables localement pour répondre à la diversité des situations, mais qu'il faut aussi, localement, des représentants de l'État qui soient les interlocuteurs des collectivités. Deuxième élément important dans cette naissance de l'encadrement au milieu des années 80. Ce que l'on voit à ce moment-là émerger aussi, c'est à la fois l'échelon académique et l'établissement. Le phénomène majeur de ces 20 dernières années, c'est l'émergence de l'échelon académique. Les déconcentrations de 1987, la déconcentration de 1999, dont tout le monde se souvient, cette déconcentration du mouvement des personnels enseignants du second degré. 2005, loi organique sur les lois de finances, les budgets opérationnels de programmes sont des budgets académiques. C'est-à-dire qu'on confie aux recteurs l'ensemble même de la masse salariale. Et aujourd'hui, l'essentiel de la gestion du système éducatif est académique, avec ce double mouvement de déconcentration de l'administration centrale vers les académies, et en même temps une part pour le premier degré de reconcentration des départements sur les académies. Donc c'est ce mouvement qui fait des académies l'échelon opérationnel principal du système éducatif. Et puis, c'est aussi l'émergence affirmée de l'établissement, non seulement en matière d'autonomie administrative, que j'évoquais à travers le décret de 85, mais dans bien d'autres domaines et notamment dans ceux qui vous intéressent le plus, dans les responsabilités concernant le cœur de l'enseignement. De plus en plus, et s'il y a un fil conducteur, depuis de nombreuses années dans l'enseignement secondaire, jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à l'actualité la plus récente, c'est le fait que, de plus en plus, avec des succès parfois mitigés dans l'application réelle avec des tentatives réitérées, c'est de donner des marges de manœuvre aux établissements. Cela part, je prends le collège puisque c'est un sujet dont on parle beaucoup, mais là, pour en parler d'un point de vue historique, je prends par exemple, les heures libres, au collège, c'était Jean-Pierre Chevènement.

Vous voyez que je me réfère à une histoire qui n'est pas si ancienne mais qui date aussi de 1984-1986. En même temps qu'il y a l'EPLE comme autonomie administrative, il y a une première tentative pour conférer à l'établissement des marges de manœuvre. Heures libres qui ne sont pas restées très souvent libres parce qu'elles ont été récupérées par les disciplines auxquelles elles avaient été empruntées. C'est un mouvement assez classique. Mais ce qui est intéressant, c'est ce mouvement qui s'est poursuivi au collège ensuite, dans les années 1993, 1994, 1996, par les parcours diversifiés en cinquième et en quatrième. Ce sont des choses que peut-être certains d'entre vous ont connues. Peut-être pas comme élèves, mais peut-être comme parents d'élèves ou professeurs, et rappelez-vous les horaires fourchettes. Cette idée qu'il y avait des horaires qui étaient fixés, l'horaire d'une discipline était fixé entre un minimum et un maximum, afin de conférer à l'établissement des responsabilités d'organisation. Ça a été ensuite les travaux croisés, à l'initiative de Madame Ségolène Royal. Les itinéraires de découverte, du temps de Jack Lang. Je cite les ministres parce que cela vous identifie la période. Donc, beaucoup de dispositifs. Et aujourd'hui, encore, les enseignements pratiques interdisciplinaires. C'est-à-dire, par-delà la diversité, parce que ce serait une épreuve complémentaire au concours, dites-moi quel est le caractère commun et la différence spécifique entre les parcours diversifiés, les travaux croisés, les itinéraires de découverte et les enseignements pratiques interdisciplinaires ? Il y en a, mais c'est un peu subtil. [L'auditoire rit]. Mais cela pourra donner lieu à une autre conférence et à une question subsidiaire de sortie, pour faire un classement de sortie. Cela montre aussi la difficulté que vous pouvez avoir à l'expliquer à ceux qui ne sont pas tous les jours baignés dans les questions que nous maîtrisons tous parfaitement, évidemment. Quand vous devez l'expliquer à certains professeurs, voire aux parents, voire aux élus. Mais, derrière cette diversité, ce qui compte, ce qui est important et ce que je veux souligner, c'est qu'il y a, là aussi, une forme de continuité. La continuité qui consiste à dire que l'établissement a désormais à prendre des décisions d'organisation pédagogique. C'est l'idée qu'il devient, et c'est le propre d'un établissement public, il n'a pas simplement un conseil d'administration, il n'a pas simplement le budget qu'il vote, il a aussi dans l'ordre pédagogique, dans le cœur du métier, des décisions qui relèvent de son initiative. Tout n'est pas imposé par des grilles horaires qui sont conçues par l'administration centrale. C'est cela qui est intéressant comme fil rouge. Alors après, on peut discuter des différentes solutions, mais retenons déjà cet élément. Tout ceci a aussi existé en lycée, je n'ai pas parlé du lycée. Rappelez-vous aussi les modules. Peut-être avez-vous souvenir des modules. [Quelques murmures dans la salle]. Oui, oui, je sais, c'est loin ! Les modules, mais aussi, par exemple, les projets pluridisciplinaires à caractère professionnel en lycée professionnel, les travaux personnels encadrés, la plus récente réforme du lycée, n'est-ce pas, qui comprend, dans la grille horaire, 10 heures qui ne sont pas prédéterminées quant à leur utilisation, que ce soit d'abord en classe de seconde, puis en première, puis en terminale. C'est-à-dire l'idée que dans l'organisation pédagogique, il y a de la marge de manœuvre pour l'établissement, et qu'il a des décisions à prendre. Bien sûr, ce n'est pas le chef d'établissement seul qui doit les prendre, c'est lié aussi au développement de conseils pédagogiques, et bien sûr, les corps d'inspection ne sont pas étrangers à ce paysage. Cela a des conséquences aussi sur le rôle des corps d'inspection puisque l'inspecteur n'est pas là seulement pour voir si les 4 heures prévues à l'emploi du temps sont bien prévues à la grille horaire, assurées et respectées, puisque justement, les grilles, et c'est cela l'évolution, ont été les grilles qui prévoyaient des adaptations ou des marges de manœuvre. On est plus passé d'une fonction de contrôle à une fonction d'appréciation de la pertinence des choix et de l'efficacité de l'action. Sur le plan des réformes du recrutement des personnels aussi, les établissements se sont trouvés dotés de responsabilités. Les établissements aujourd'hui sont pour partie à l'origine du recrutement d'un certain nombre de personnel, que ce soient les assistants d'éducation, les emplois vie scolaire, notamment. Ils ont aussi une fonction de plus en plus importante en matière de gestion des ressources humaines avec la formation des professeurs ou l'accueil des étudiants en master, ce genre de choses. Bref, l'établissement prend une consistance et des décisions. Cela ne fait pas encore de la France une championne. Parmi tous les pays européens, je ne sais pas ce qu'a dit Monsieur Hugonnier ou ce que dira Monsieur Kessler demain, nous apparaissons encore comme un pays où la décentralisation sur l'établissement est relativement faible par rapport à d'autres pays. Il n'empêche que nous sommes dans une situation qui a été marquée par une évolution, encore une fois, parfois un peu chaotique, vers plus de marge de manœuvre plutôt que d'autonomie vers l'établissement. C'est évidemment un élément qui a beaucoup joué dans le développement de la fonction d'encadrement. Donc, la première famille de raison, c'est tout ce qui tourne autour de la décentralisation, de la déconcentration, et de l'émergence d'établissement et de l'échelon académique. La deuxième famille de raison, c'est pourquoi développer l'encadrement. Parce que l'Éducation nationale, c'est, vous le savez bien, une entreprise humaine, très humaine. Vous savez bien que, ne serait-ce que dans le budget, nous sommes d'abord un budget de personnel, et que ce qui fait la richesse de l'Éducation nationale, c'est évidemment la richesse des hommes et des femmes qui la servent. Et ce personnel, je l'évoquais au début, a un haut niveau de formation. Compte tenu de son recrutement puisque aujourd'hui tous les concours sont aux minimum à bac +4. Et les gens qui se présentent ont plus. Et on sait tous que, quand on a un haut niveau de formation, plus on a un niveau de formation élevée, plus le milieu professionnel a besoin de comprendre pour faire. Plus les gens ont un niveau élevé de formation, plus ils aiment et apprécient de comprendre ce qu'on leur demande avant de le faire. Ils ne veulent pas être des exécutants simplement sans comprendre. Ils veulent comprendre et c'est assez légitime. Ce qui fait, d'ailleurs, que ça a changé aussi la nature des fonctions d'inspection. Quand on a, un personnel qui est aujourd'hui à haut niveau de formation, il est évident qu'on ne peut pas arriver simplement en lui disant : voilà, c'est la règle, c'est la norme, c'est comme cela, vous exécutez. Cela signifie une autre fonction pour les inspections, à commencer pour les inspections générales. On pourra en reparler si vous voulez. Mais ça va de soi ! Vous n'êtes plus dans la même fonction, vous n'êtes plus dans la même attitude. Donc quand on a un haut niveau de formation, on demande à comprendre pour faire. Deuxièmement, nous connaissons tous les caractéristiques socioculturelles du monde enseignant, qui est quand même, je l'évoquais au tout début, plutôt méfiant, en quelque sorte, vis-à-vis d'une autorité extérieure. Nous avons toujours ce thème des franchises universitaires, de la liberté pédagogique, qui n'est pas simplement un fantasme, qui est une réalité, qui est même une réalité législative dans la loi de 2005, mais un monde où il y a une forte autonomie des acteurs, comme on dit aujourd'hui, pour parler la langue contemporaine, et donc la question, c'est comment concilier cette autonomie essentielle, constitutive du monde enseignant, avec néanmoins les exigences de cohérence dans l'organisation des enseignements à l'intérieur d'un établissement par niveau et aussi dans la durée. Donc, un monde qui aime comprendre et qui se méfie toujours un peu de l'autorité extérieure. Ça aussi, cela a joué. C'est-à-dire qu'il faut avoir des cadres, pour être, je le répéterai et je le répète toujours, non pas présents simplement pour répéter mécaniquement ou ânonner la règle et la norme, on a besoin de cadres, c'est comme cela qu'apparaît la notion de cadre, parce qu'au fond, autrement, c'était une fonction purement descendante et en quelque sorte relais de l'instruction, ou remontée de l'information. On a de plus en plus besoin de fonctions d'encadrement parce qu'on a besoin, non pas simplement de répéter la norme, mais on a besoin de faire comprendre, non pas la lettre de la loi seulement, mais l'esprit des lois. C'est cela qui est absolument essentiel pour aider à la compréhension du sens et non pas simplement à la répétition de la lettre. Donc, deuxième raison qui a poussé à être le point de culture du développement de l'encadrement. Troisième famille de raison, c'est évidemment une crise des modèles de références. Notamment dans le domaine de la conduite de l'institution scolaire. C'est ce que j'appelle un épuisement des modes traditionnels de pilotage. Le pilotage par la règle, la norme, comme je le disais au début qui était et qui pendant longtemps a assuré la cohérence, nous savons que ce pilotage, en grande partie, s'épuise. Ce qui d'ailleurs parfois peut se justifier, et c'est un inspecteur général de l'administration de l'Éducation nationale et de la recherche qui vous le dit, et qui a dirigé pendant 10 ans l'IANR, nous avons bien conscience et nous l'avons souvent dit, nous l'avons souvent écrit, que la répétition de la circulaire en général, ne fait pas beaucoup progresser les choses.

Et d'ailleurs la répétition des circulaires fait qu'en général les gens se disent d'abord qu'ils vont attendre la suivante, et que la répétition insistante de l'instruction a plus pour conséquence le conservatisme que l'évolution. Et donc ce n'est pas simplement par là que cela doit passer. Moins de circulaires, moins de textes, plus d'explications de textes, plus d'esprit des lois, que de répétition de la norme. Et donc, quand il y a moins de cadre réglementaire, il doit y avoir plus de cadres, de personnel d'encadrement qui sont justement là pour donner du sens. Les modèles traditionnels aussi se sont un peu épuisés dans le domaine. Je ne parlerai pas pour les corps d'inspection mais pour les personnels de direction parce que c'est intéressant, hein, justement, l'encadrement, ce n'est pas simplement ou les personnels d'inspection ou les personnels de direction. Ce sont des problématiques conjointes et communes. On avait par exemple, dans le système éducatif français, des modèles distincts. Entre le modèle du premier degré où au fond, la priorité, c'est de partir de l'élève, de l'encadrement de l'élève, et qui fait d'ailleurs que le directeur d'école n'est pas un chef d'établissement,, mais c'est un professeur des écoles parmi les autres, qui a une responsabilité particulière, mais il n'est pas chef d'établissement. C'est une culture. La deuxième culture, c'est celle du second degré. Issue du lycée et du lycée napoléonien, le chef. Ce n'est pas pour rien qu'il s'appelle chef, d'établissement. À l'issue d'une réussite à un concours, qui lui fait changer de peau, il était professeur, on exige de lui qu'il ait été enseignant, ou de fonction éducative, et par la magie de la réussite au concours, il se trouve au bout d'un couloir marqué par la flèche administration. [Quelques rires dans l'assistance]. Et comme j'ai souvent l'occasion de le dire, au-delà de la porte de la classe, son ticket n'est plus valable. C'est la logique, alors bien sûr ce n'est plus comme ça aujourd'hui ! Mais enfin il y a des traces ! [Éclats de rire dans l'assistance]. C'est pour cela que c'est intéressant de faire de l'histoire, parce que cela explique des choses. C'est la nomination par le ministre, c'est une nomination ministérielle, c'est un concours, c'est un changement de corps, et c'est la vieille version hiérarchique. Ce n'est plus comme cela aujourd'hui, ça change aussi, à cause de l'encadrement. Et puis il y a le versant universitaire. L'université, c'est autre chose. C'est la cité des savants. Eh oui, c'est un élu. Nous avons des établissements d'enseignement en France où le chef est élu. Il ne s'appelle pas chef, il s'appelle président. Il y a le directeur, il y a le chef, il y a le président. Il y en a un qui est le premier d'entre les collègues, le deuxième qui est le représentant de l'État, je rappelle que le chef d'établissement en second degré est représentant de l'État, c'est son titre, et puis un troisième qui est un président élu. Vous voyez, trois modèles différents qui ont chacun leurs vertus, mais dont on sait bien qu'ils ont aussi leurs limites. Et puis, il y a bien eu une tentative de faire émerger un autre modèle qui était le modèle dont on a beaucoup parlé à un moment, le chef d'établissement . Même dans cette école, on intervenait, on demandait d'intervenir sur le chef d'établissement . Plusieurs raisons pouvaient y pousser, l'introduction de la notion d'économie de l'éducation, le modèle d'autres types d'entreprises humaines, mais on sait bien que ce n'est pas un vrai manager puisqu'il ne recrute pas ses professeurs, il ne maîtrise pas complètement son budget, c'était plutôt une manière de montrer l'insuffisance des autres modèles plutôt qu'une manière d'instaurer un modèle nouveau ! Donc, des modèles qui sont un peu en crise. Et autre modèle, pour parler de l'inspection justement, la distinction entre la filière pédagogique et la filière administrative. Notre système s'est développé avec cette dualité, dont on a bien des traces. L'une étant la différence entre la notation pédagogique et la notation administrative dans le second degré. Mais aussi, par exemple, la différence entre deux inspections générales. Vous avez vu Viviane Louis, de l'IGEN, d'autres collègues de l'IGEN, vous voyez des IGAENR. C'est l'histoire qui explique cette dualité, c'est l'histoire. Si aujourd'hui, nous devions recréer les inspections générales, je ne suis pas sûr qu'on en recréerait deux. J'ai souvent pu dire que l'IGAENR, c'était pour l'Éducation nationale un peu comme l'Allemagne pour Mauriac, qui disait : j'aime tellement l'Allemagne que je préfère qu'il y en ait deux. [Quelques réactions dans l'auditoire]. Le sens de l'histoire, cela a été qu'il n'y en est plus qu'une ! Mais cette dualité, elle est aussi marquée dans bien des choses. Elle a permis de construire et de faire se développer le système éducatif. En même temps, elle devient un handicap à partir du moment où on veut essayer justement de donner plus de responsabilités à des échelons locaux que sont les académies, que sont les établissements. Si vous voulez en plus développer une culture d'évaluation, si vous voulez évaluer, eh bien cela suppose que vous preniez en compte à la fois les objectifs pédagogiques, les moyens qui sont mobilisés, et les moyens, cela peut ressortir de ce que l'on classe dans l'administration : l'ADHG, les emplois, les heures, le budget, notamment. Les moyens sont aussi les choix pédagogiques d'organisation retenus. Ce ne sont pas toujours les moyens budgétaires. Les moyens, ce sont les moyens pédagogiques, les dispositifs pédagogiques comme on dit pour couvrir des tas de choses. Par exemple, comment vous organisez l'accompagnement personnalisé ? Quelles sont les solutions que vous avez retenues ? Comment organiser et développer les enseignements d'exploration ? Est-ce que vous avez préféré avoir plus de petits groupes, ou est-ce que vous avez préféré d'autres situations ? Ça, ce sont des choix, des moyens que vous devez prendre en compte. Au bout du compte, à l'aune de quoi apprécions-nous la réussite ou l'évaluation d'un établissement ou d'autre chose ? À l'aune de la réussite des élèves ! Donc si nous sommes dans une logique d'évaluation, et non plus dans une logique de contrôle, alors la dualité entre une lecture pédagogique et une lecture administrative devient un obstacle à une vraie évaluation. Et c'est en ce sens que les inspections générales depuis 1989 ont une mission d'évaluation et plus seulement de contrôle. Et il y a ensuite la loi organique sur les lois de finances, les indicateurs de performance, tous ces éléments. J'ai souvent l'occasion de le dire devant les cadres. La notion de performance, qui souvent est perçue par les collègues enseignants ou par nous-mêmes quand nous étions enseignants ou par vous-même avec parfois une certaine méfiance. Vous voulez transformer l'Éducation nationale en une entreprise marchande. Disons les choses plus clairement, la réussite. La réussite. Les objectifs de performance sont dans la loi de 1989, et dès la loi de 89, puisqu'on en a justement retenu, et c'est souvent la chose la plus populaire, l'objectif de 100 pour cent de qualifiés dont 80 pour cent de ! C'est première fois qu'on fixe un objectif. Non pas simplement une obligation de moyens, mais une obligation de résultats, obligation renforcée par la loi d'orientation de 2005. Cette loi renforce cela en affichant cet objectif de 80 pour cent, et de 50 pour cent avec un diplôme de l'enseignement supérieur. Dès qu'on est dans une logique qui est une logique évaluative, et d'appréciation des résultats, il faut que l'on conjugue une approche pédagogique et une approche administrative. D'où, le sens qui était le premier dans la création de la direction des personnels d'inspection, de conjuguer personnels d'inspection et personnels de direction. Donc voilà les raisons qui, en quelque sorte, justifient la notion de cadre et sa naissance, finalement assez tardive, dans le système éducatif français. Alors, qu'est-ce qui caractérise, après l'histoire, qu'est-ce qui caractérisent les fonctions d'encadrement ? Ces belles fonctions auxquelles vous avez aspiré et que maintenant vous allez exercer. Métier difficile mais métier passionnant. D'abord c'est la polyvalence et la diversité. Polyvalence et diversité des qualités requises et diversité des attentes à votre endroit. Lisons les rapports d'inspection générale, c'est une lecture saine, que je vous conseille, éclairante. Combien de rapports n'ont-ils pas pour conclusion et d'ailleurs en 10 ans de direction de l'IGAENR j'ai eu l'occasion d'en transmettre environ mille aux ministres successifs, donc c'est une saine lecture, mais combien de rapports ne disent pas en conclusion qu'il faut mobiliser davantage les corps d'inspection ? Et ça, sur tous les sujets. Vous savez, en général, quand il y avait une crise, il y avait deux remèdes immédiats, mieux communiquer et mieux former. Et chez nous, on ajoute mobiliser les corps d'inspection. Bon. Les pauvres. Oui, il faut les mobiliser mais enfin à force de les mobiliser sur tout, c'est un vrai problème. Donc, la diversité des attentes à votre endroit, la polyvalence qui est la vôtre, qui, d'une certaine façon, rompt avec une certaine représentation traditionnelle. La représentation traditionnelle, avant même qu'on ait parlé d'encadrement parce qu'il y a eu des corps d'inspection avant, je dirais 1986. Heureusement. Mais une représentation assez traditionnelle, c'était de dire que devient un inspecteur, un professeur dont la compétence a été attestée, reconnu dans sa spécialité. C'est un bon professeur de physique, il enseigne bien la physique, il connaît bien la physique, d'abord. Je prends la physique mais je ne vise personne, évidemment. Il connaît bien la discipline, il connaît le savoir, il connaît aussi son enseignement et donc c'est une promotion verticale vers le haut dans l'excellence de sa spécialité. Ça doit toujours être cela. Mais ça ne peut plus être seulement cela. De même qu'on pouvait dire, on prend un excellent secrétaire général d'académie, un excellent directeur d'administration centrale, en principe excellent puisqu'il a été nommé, et il devient l'inspecteur général de l'administration maintenant. L'idée, souvent, de cette représentation traditionnelle, c'est une promotion dans la même sphère où, en gros, on va continuer dans l'excellence disciplinaire ou de la spécialité qui est la sienne. Ce n'est plus tout à fait cela. Ce n'est plus tout à fait cela. J'utilise le terme tout à fait, parce que ça ne veut pas dire qu'il faut recruter des inspecteurs dont on ne s'assurerait pas de leurs compétences et scientifiques et pédagogiques. En tout cas, c'est un point de vue personnel. Ça me paraît être un point de vue sain pour le fonctionnement du système. Mais en même temps, ce n'est pas tout à fait cela. Il y a aujourd'hui, effectivement, une forme de tension entre d'une part, l'excellence et la spécialisation et d'autre part, la polyvalence et l'ouverture à d'autres domaines et à d'autres secteurs. L'inspecteur n'est plus simplement un relais, il est lui-même dans une hiérarchie verticale où il n'est plus simplement un relais, il va avoir pour fonction d'essayer de comprendre la langue des autres, d'essayer de parler la langue des autres et d'essayer d'expliquer, et d'accéder à des domaines qui peut-être lui étaient assez étrangers dans ses fonctions antérieures. Ce n'est pas simplement une progression hiérarchique dans sa spécialité, c'est aussi accéder à des domaines de compétence qui sont nouveaux, et c'est le propre de la responsabilité. Alors, quels sont les cadres ? D'abord, bien sûr, ils obéissent, ils relèvent des règles, du respect des grandes règles de l'État de droit, cela va de soi. C'est le principe de la légalité, vous devez agir dans un cadre légal, en fonction de règles qui existent. Vous devez aussi agir en ayant l'intelligence de l'application. Il n'y a rien de pire que les gens qui appliquent le droit, ils l'appliquent tellement et de façon tellement méticuleuse qu'ils bloquent le système. Il faut avoir aussi ce qu'on appelle le jugement, c'est-à-dire la façon d'apprécier la situation singulière et le moment opportun. Deuxièmement, c'est le principe aussi de responsabilité. Nous sommes responsables, c'est-à-dire que nous pouvons avoir à répondre de ce que nous faisons. Ça, ce sont, et je ne vous y renvoie que pour mémoire car vous avez dû réviser pour préparer le concours, les grands principes de tout État de droit et de la République. Sur la responsabilité justement, les qualités, les valeurs propres aux fonctions de l'encadrement. D'abord, la responsabilité. On accède à des responsabilités plus importantes. Attention, cela ne veut pas dire que les professeurs n'ont pas de responsabilité. Ne me faites pas dire cela. Ne disons pas que les professeurs ne sont pas des cadres. Ils n'ont pas de fonction d'encadrement au même sens que celles auxquelles vous allez accéder. Ils ont des responsabilités, on a d'éminentes responsabilités, on a de grandes responsabilités quand on est enseignant. Mais accéder au corps d'encadrement, c'est accéder à d'autres types de responsabilités. Le propre de la progression dans les responsabilités, c'est ce qu'on couvre un champ qui concerne plus de monde et qui tire davantage à conséquences. C'est ça la responsabilité. Quand on a des responsabilités supérieures, c'est parce qu'en général, son champ de compétence va toucher plus de monde, et ce que vous faites peut tirer à des conséquences à plus long terme et plus importante. La responsabilité, c'est quelque chose qui ne va pas nécessairement de soi. Ni dans le monde actuel, ni dans le monde enseignant. Les professeurs ont des responsabilités. Mais, nous sommes aujourd'hui, et pas seulement dans le monde enseignant, dans un monde où on s'émeut facilement. On dénonce. Parfois, on s'indigne. Mais, c'est sympathique, c'est bien, c'est justifié. Et c'est parfois parfaitement légitime. Mais c'est un peu court pour les fonctions d'encadrement. L'encadrement, ça ne peut pas être seulement le monde de l'émotionnel, du compassionnelle et de l'indignation. L'encadrement, c'est autre chose. L'encadrement et la responsabilité, c'est autre chose. Et dans un monde qui a souvent tendance à se démarquer des pouvoirs, on passe du côté des responsables. Et on va avoir à en répondre. C'est évidemment une distinction bien connue de vous tous entre ce que Max Weber appelait l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. L'éthique de conviction. Eh bien, c'est bien d'avoir des convictions, nous avons tous ses convictions, enfin, j'espère. Et c'est bien d'avoir des convictions, et c'est légitime de vouloir les faire partager. C'est même légitime de faire en sorte que d'autres les partagent. Il n'y a rien là de critiquable. Simplement, dans vos fonctions, dans nos fonctions de responsabilité, notre action ne peut plus être guidée simplement par nos convictions, qui sont des convictions personnelles. Notre action est dictée par l'analyse des conditions prévisibles de notre action et des conséquences dans le monde réel. Il n'est pas interdit de rêver d'un monde idéal. Il n'est pas interdit d'avoir, outre un monde des idées, comme dirait Kant, un idéal régulateur qui sert à réguler l'action. Mais, nous avons à intervenir et à prendre des responsabilités dans un monde réel, avec des conséquences sur le réel. Et ça, c'est évidemment un changement. Ce changement est la caractéristique des personnels d'encadrement. Alors, responsabilité, agir dans le monde réel, et en même temps pas seulement au nom de ses propres convictions. Vous allez me dire que oui, mais alors, faut-il renoncer à ce en quoi on croit ? Est-ce que dans ce cas-là, la troisième qualité, qui est la loyauté, qui est une des qualités essentielles du cadre, c'est la loyauté, est-ce que la loyauté ne devient pas la servilité ? Oui, la première de nos qualités, c'est la loyauté. La loyauté à l'institution. Mais la loyauté à l'institution n'est pas l'obéissance servile, comme je le disais tout à l'heure. Ce n'est pas non plus, et il n'y a pas pire caricature de la loyauté que l'application mécanique. La loyauté, c'est être fidèle et loyal à l'esprit et pas simplement être celui qui répète. La loyauté, c'est la volonté de comprendre, par exemple, de comprendre les intentions du décideur. Le sens. Il faut partir avec un a priori positif. Il faut se demander ce qui est voulu. Par exemple, quand vous êtes confronté à de nouvelles mesures. Vous n'avez pas fini d'être confrontés à de nouvelles mesures ou à de nouvelles décisions dans votre carrière. Alors on peut avoir, à titre personnel, une réaction, on peut avoir, en son for intérieur, des réactions. Celles-ci ne vont pas devoir dicter notre action. Nous ne sommes pas là pour faire que le système fonctionne en fonction de ce que nous voudrions qu'il soit. N'oubliez pas qu'il y a une institution, qu'il y a des procédures démocratiques, qui sont, comme le disait Churchill, la plus mauvaise des solutions, sauf qu'il n'y en a pas, la moins mauvaise des solutions parce qu'autrement, si chacun commençait à dire que le système doit être tel qu'il le conçoit, nous serions dans un système complètement éclaté, et où justement ce qui l'emporterait, ce serait un système de croyances individuelles et non pas un système républicain et démocratique. Donc, nous devons la loyauté. On peut avoir des avis personnels, mais ce ne sont pas ces avis qui vont devoir dicter notre action. Ça ne veut pas dire pour autant que je vous invite à tomber dans un cynisme absolu. Ce n'est pas ça. Il y a un célèbre texte de Pascal qui parle des pensées de derrière. On a une gradation des pensées. On peut avoir des pensées personnelles, on peut avoir des opinions personnelles. C'est ce qui nous concerne à titre personnel. Mais en tant que cadre, nous avons d'abord à avoir une loyauté, et la loyauté, ce n'est pas de dire que le ministre a dit, et que donc je répète, c'est d'abord essayer de comprendre. Essayer de comprendre quel est le sens. Comprendre les intentions et essayer de les mettre intelligemment en œuvre. Donc, la loyauté est évidemment une des qualités principales du cadre. Cette loyauté, elle a aussi pour hôte, pour corrélat, l'autorité. Alors, l'autorité, vous allez me dire que c'est un concept bizarre. Parce que tout le monde parle toujours de restaurer l'autorité. Et enfin, l'autorité, en même temps, il y a par exemple un certain nombre d'ouvrages, je pense à Hannah Arendt par exemple, qui a écrit sur l'autorité. Son article s'intitule : qu'est-ce que l'autorité ? Elle a dit d'ailleurs qu'elle aurait dû l'intituler : que fut l'autorité ? Au fond, l'autorité, et pas seulement aujourd'hui, bien avant, du temps des Lumières déjà, a perdu. L'autorité, c'était quoi ? C'était justement à la fois ce qui est antérieur, les anciens, et ce qui est extérieur ou transcendant, l'autorité supérieure. L'esprit des Lumières, le rationalisme, c'est justement, et d'ailleurs Kant le disait dans un opuscule célèbre intitulé Qu'est-ce que les Lumières ?, c'est l'humanité qui sort de l'enfance pour accéder directement à sa maturité, donc oser savoir, oser s'affranchir des autorités antérieures et des autorités extérieures. Donc, d'une certaine façon, au cœur même des Lumières, et au cœur même de l'école de la République, il y a la volonté de s'affranchir d'autorités extérieures. Pour que ce soit, par le libre exercice de la raison que nous accédions au savoir et à la formation du jugement. Donc, l'autorité, souvent, si on la prend en ce sens, elle fait partie du monde d'hier, comme aurait dit Stefan Zweig. Et en même temps, elle est toujours requise. L'autorité s'affirme par l'espèce de creux qu'elle laisse et par la requête qui en permanence s'adresse à elle. Pourquoi ? Parce que d'une certaine façon, il y a deux choses. Il y a d'une part le pouvoir et la puissance, la force, et comme aurait dit Pascal, il y a la justice. Vous savez bien, comme il l'a dit, que c'est difficile de faire en sorte que la justice soit forte et c'est pourquoi parfois on fait que la force est juste. Mais, ce n'est pas tout à fait satisfaisant. Il y a un troisième terme, on le voit bien. C'est l'autorité. L'autorité, c'est qui permet de sortir de cette dualité entre la puissance et la justice. C'est ce qui permet, par exemple en tant que cadre, le droit, les règles, vous donnent un statut. La réussite au concours a jugé de votre compétence. Mais vous le savez bien, le statut donné par le droit, la compétence reconnue par le concours, si je puis dire, dans l'action au quotidien, ça va être un peu court. C'est ça le problème. On ne peut pas asseoir son autorité, on ne peut plus l'adosser, comme ça a pu être le cas pendant longtemps, à une autorité qui serait derrière vous et qui ferait que tout ce que vous dites est considéré comme parole d'autorité, pour ne pas dire autre chose. Non, l'autorité, cela suppose que l'autre vous la reconnaisse. L'autorité existe parce qu'elle est reconnue et parce qu'elle est incarnée. C'est ça la différence avec les cadres. Quand c'était simplement des textes, aujourd'hui, l'autorité, elle est à la fois incarnée par des personnes, les cadres, elle est représentative et elle existe parce qu'elle est reconnue. Et alors, elle est reconnue d'une façon un peu bizarre, il y a une forme de paradoxe de cette autorité. Si j'impose mon autorité, c'est de l'autoritarisme. Je l'impose à la liberté d'autrui. Or, pour que l'autorité existe, il faut qu'autrui soit libre. C'est la liberté d'autrui, en me reconnaissant une autorité, qui fait mon autorité. Ce n'est pas moi qui l'impose. En même temps, autrui la reconnaît, non pas parce que je l'impose, mais parce que d'une certaine façon, il la reconnaît comme une autorité qui s'impose d'elle-même. Comment s'impose cette autorité ? Évidemment, par votre compétence, par votre connaissance, votre connaissance dans les secteurs qui sont les vôtres, mais aussi par vos compétences et connaissances dans les savoir-faire, dans votre expérience, et dans votre capacité à apporter quelque chose, une plus-value à ceux qui sont en face, avec qui vous travaillez. L'autorité, c'est évidemment un concept singulier, souvent critiqué, et en même temps, dont une forme est absolument essentielle au fonctionnement de l'institution. Les cadres existent à partir du moment où on leur reconnaît de l'autorité. Et c'est pour ça que ces métiers sont difficiles, fatigants, je vous le dis tout de suite, parce que cette autorité n'est jamais acquise. C'est une création continue et qui est en permanence à refaire. Et puis, un cadre, c'est aussi, je voulais le rappeler, quelqu'un qui crée, disons quelqu'un qui innove, et qui aussi permet de faire circuler le caractère inventif de ce qui se fait localement par les professeurs ou dans les établissements. L'un des enjeux majeurs justement des corps d'inspection, c'est qu'ils vont dans une multiplicité de lieux d'enseignement. Ils voient une pluralité, une grande diversité de situations d'enseignement. Ils ont une observation directe des actes pédagogiques. On ne peut pas se passer de ce caractère. Le chef d'établissement a une responsabilité pédagogique, mais il voit son établissement comme un lieu, une unité d'enseignement. Les corps d'inspection, ils ont justement, par leur fonction itinérante, ils ont cette caractéristique qui est de voir une très grande variété de situations d'enseignement, et de pouvoir justement être ceux qui peuvent faire circuler l'information et, ce que l'on a l'habitude d'appeler selon une formule un peu usée, les bonnes pratiques entre les enseignants. Donc ça, c'est une fonction du cadre. Et c'est aussi un métier éminemment relationnel. Il faut aimer les gens. Il faut avoir un peu de sympathie quand même, d'empathie, avec les collègues et avec ceux que l'on rencontre. Ça va mieux comme ça. Alors, pour laisser du temps à l'échange, sur ces questions, je voudrais aussi dire deux choses sur l'encadrement, puisque l'ESEN m'a convié à parler du cadre dans le système éducatif. Le cadre, je vais vous en montrer les conditions de naissance, du développement, les raisons, et les qualités attendues. Le cadre, ce n'est pas simplement le personnel d'encadrement. On a souvent tendance à penser le cadre comme les personnels de l'encadrement. Vous êtes des personnels d'encadrement. Mais toute cette histoire que j'ai parcourue bien trop rapidement, cette évolution du système éducatif, et notamment les comparaisons internationales, montrent bien que l'encadrement ne peut pas être seulement les personnels relevant de la catégorie personnel d'encadrement. Nous avons, par exemple, un certain nombre de fonctions à développer dans nos établissements. Coordonnateur de niveau, coordonnateur de discipline, ce ne sont pas des personnels d'encadrement, mais cela participe de l'encadrement du système, et aussi, peut-être, je l'espère, permet de nourrir le vivier des futurs personnels d'encadrement. Mais ne confondons pas, ne réduisons pas, la nécessité d'encadrement, soit à une forme de caporalisme général, de toute façon ça marcherait mal dans l'Éducation nationale, soit au seul personnel d'encadrement. Souvent, ça frappe, ça m'avait frappé, la première fois où certains avaient dit ce qui suit. J'ai le souvenir de travaux avec des cabinets de consultants extérieurs qui regardaient l'Éducation nationale et qui nous avaient dit que nous, l'Éducation nationale, plus d'un million de fonctionnaires, des milliers d'établissements, vous êtes une structure plate. J'ai demandé ce qu'ils voulaient dire. Ils m'ont répondu : oui, entre le ministre, c'est-à-dire, l'incarnation de l'autorité de la nation, car nous sommes au service de la nation, entre le ministère, le directeur d'administration centrale et le professeur, combien d'échelons ? Un au sommet, un million en râteau, comme on dit. Combien d'échelons ? Eh oui, très peu. Très peu. La représentation, c'est l'Éducation nationale, système lourd et pyramidal. C'est une pyramide sacrément écrasée. Très large base, petit sommet. Petit sommet, c'est normal, il n'y en a toujours qu'un.

[L'assistance rit]. Mais au milieu, y a pas grand-chose, hein ! Entre nous. Et c'est d'ailleurs parfois ce qui fait l'efficacité de la mise en œuvre de certaines décisions. Le ministre, que fait-il ? Il réunit les recteurs, il y en a 30, enfin pour le moment. (Quelques rires dans l'auditoire). Il y a 30 recteurs donc. Une réunion de recteurs, le ministre passe des instructions, les recteurs rentrent, ils réunissent leurs DA-SEN, leurs chefs d'établissement, c'est très court. Il vaut mieux qu'ils réunissent aussi les corps d'inspection, les IEN et les IPR, mais vous voyez que l'échelon, au fond, la pyramide hiérarchique est assez faible. C'est assez faible. Et même quand vous êtes professeur de lycée, ou DA-SEN, enfin, jusqu'à une époque récente, les DA-SEN, enfin disons que les IA avaient peu d'autorité sur les lycées. Avec le décret sur la gouvernance, avec l'évolution des répartitions entre échelon académique et échelon départemental, les choses ont évolué, mais enfin tout de même. Donc on avait une spécificité dans l'Éducation nationale, c'était une chaîne courte et une chaîne double. Hiérarchique, et pédagogique. Une chaîne très courte. Ce qui compte, dans toute organisation, c'est au contraire de redensifier un peu entre une personne et un million. C'est justement de faire, on le voit souvent dans nos établissements. Et dans les systèmes étrangers, en tout cas d'établissements étrangers, vous avez plus de responsabilités, au sein même des établissements. La responsabilité est beaucoup plus diffuse. Il y a beaucoup plus de personnes qui exercent des responsabilités. Donc, l'encadrement du système éducatif, ça ne doit pas être simplement les personnels d'encadrement, c'est l'ensemble des fonctions qui contribuent, justement, à créer cette cohérence. Dernière remarque, pour finir par où j'ai commencé. Vous avez réussi le concours d'inspecteur, vous faites donc partie des personnels d'encadrement, mais je vous ai félicité pour être rentrés dans des fonctions d'encadrement. Ce qui caractérise aujourd'hui l'encadrement, c'est que, ce n'est pas parce qu'on est IEN ou qu'on est IPR, au fond, qu'on va toujours rester IEN et IPR. Et que les fonctions vont être stables. Il y a des fonctions d'encadrement. Et il faudrait de plus en plus dissocier, j'en suis partisan et je ne suis pas le seul, le corps et l'emploi. La structuration traditionnelle de la fonction publique française, c'est un corps, un emploi. Je ne serais pas du tout opposé à ce que certains membres des corps d'inspection reprennent des responsabilités de direction d'établissement. Pourquoi pas ? Que les inspecteurs généraux, cela peut se faire, retournent dans des directions d'administration centrale ou retournent occuper des fonctions de responsabilités directes. Je crois que quand vous entrez aujourd'hui dans des fonctions d'encadrement, vous allez d'abord avoir des carrières longues, vous l'avez compris je crois, vous y entrez souvent plus jeunes qu'avant, et donc il est important que des missions variées soient données aux corps d'inspection. Vous verrez quand vous aurez fait ça pendant 20 ans, vous pouvez aussi vous lasser. Donc il est important aussi que les fonctions d'inspection, par exemple, on ne limite pas l'inspection à des définitions restreintes de l'inspection. L'inspection, il y a tout un spectre, dans l'inspection, de fonctions diverses. L'inspection aussi, s'est diversifiée. Elle n'est plus simplement une inspection d'individus, elle est l'inspection d'établissements, elle participe à bien d'autres travaux relevant de l'Éducation nationale. Donc, ce qui est important dans les fonctions d'encadrement, c'est de voir aujourd'hui qu'il y a des mobilités et qu'il doit y avoir des mobilités. Et vous ne devez pas être, en quelque sorte, à l'avance, réticents à des fonctions de mobilité. Et puis rassurez-vous, vous ne manquerez pas de voir vos fonctions évoluer. [L'assistance rit]. En général, pour deux raisons, parce que le système autour évolue, enfin, le monde autour évolue, et parce que vous ne manquerez pas de voir des réformes, des évolutions, des restructurations, donc soyez prêts à la mobilité, et d'abord à la mobilité qui compte, c'est-à-dire à la mobilité intellectuelle. Ce qui fait, je crois, il ne faut jamais l'oublier, l'intérêt de ces fonctions d'encadrement, c'est d'abord parce qu'il faut avoir un optimisme de l'action, penser qu'on sert à quelque chose, car si vous pensez tout de suite que vous ne servez à rien, ce n'est pas la peine de vous y engager. On sert à quelque chose. Et deuxièmement, que ce sont des métiers où on n'entre pas en renonçant aux activités intellectuelles qui pouvaient faire l'intérêt de vos fonctions antérieures, qu'elles peuvent toujours s'exercer sur un champ plus vaste et que les savoirs qui étaient les vôtres ou les compétences que vous exerciez, dans votre discipline, ou dans votre enseignement, vous pouvez les utiliser. Il n'y a rien de pire que de voir un professeur d'une certaine discipline qui, lorsqu'il arrive à la tête de fonctions de responsabilité oublie en quelque sorte un certain nombre de choses qu'il avait dans sa fonction principale. Comme j'étais personnellement professeur de philosophie, il serait quand même paradoxal qu'un professeur de philosophie, lorsqu'il accède à des responsabilités, oublie un certain nombre de qualités, comme le dialogue, l'élaboration progressive dans l'atteinte de la vérité, par exemple. Le sens de l'expérimentation, pour les scientifiques, aussi. Donc, les qualités intellectuelles qui faisaient le prix de notre activité professionnelle antérieure ne doivent pas être oubliées, elles sont reprises sous une autre forme mais elles sont toujours ce qui doit nourrir notre activité qui est d'abord une activité intellectuelle. Et c'est ce que je vous souhaite en ayant beaucoup de bonheur dans ces fonctions. [Toute l'assistance applaudit].