En Espagne, dès 1985, la loi a consacré un système de direction scolaire temporaire, non professionnel et participatif, sur le modèle d’une élection entre pairs parmi les enseignants.
Ce dispositif, peu opérationnel, a été réformé en 1995, en exigeant une accréditation préalable des chefs d’établissement et en introduisant une culture de l’évaluation. L’idée d’une professionnalisation des équipes de direction, tout en maintenant l’élection du chef par le conseil d’administration, s’est imposée dans l’éducation publique. Cependant, en Espagne, un tiers des établissements sont privés ou à charte, ce qui en fait le deuxième pays (après la Belgique) pour le nombre d'élèves scolarisés dans le privé. La loi de 1985, consacrant une éducation de base gratuite et libre, régule certes l’enseignement privé mais seuls 68% des élèves sont scolarisés dans l’enseignement primaire public, pourcentage qui diminue légèrement dans l’enseignement secondaire public. Beaucoup d’établissements présentent donc un caractère confessionnel parce qu’ils sont liés à des ordres religieux ou à l’Église catholique. Certains établissements fonctionnent comme des coopératives dans une union nationale, parfois en affirmant leur caractère identitaire, comme c’est le cas au pays basque. Selon, qu’ils sont ou non subventionnés par l’État, les établissements privés bénéficient d’une plus ou moins grande autonomie. Si une forte proportion de chefs d’établissements sont de plus en plus nommés dans le public, une forte proportion d’entre eux sont élus dans le privé, et souvent le partage des responsabilités avec les enseignants demeure plus important.
La direction scolaire dans les établissements publics espagnols a rencontré de nombreuses difficultés au cours des dernières décennies. Le modèle est devenu obsolète, la collégialité n’a pas conduit à plus de participation des enseignants ni à un plus grand partage des responsabilités. La culture scolaire a empêché les chefs d’établissement d’exercer un leadership pédagogique, la plupart des enseignants, surtout dans le secondaire, considérant que la direction doit se limiter à des fonctions administratives et non pédagogiques. Les équipes de direction rencontrent donc beaucoup de difficultés à développer l’innovation et à améliorer l’organisation pédagogique, parce qu’elles n’ont pas la capacité et l’autonomie suffisantes pour le faire. L’objectif du ministère de l’éducation espagnol est d’abandonner une direction jugée trop administrative et bureaucratique pour renforcer le leadership pédagogique afin de conduire des changements.
Cette hybridation entre direction scolaire et enseignement reste une particularité du système éducatif espagnol, ce qui amène le chef d’établissement, après avoir et été élu par ses collègues, et après quatre ou huit ans de bons et loyaux services, à redevenir un enseignant parmi ses pairs.
Cela crée un problème de reconnaissance professionnelle spécifique. Parallèlement, dans de nombreux autres cas, lorsqu'il n'y a pas de candidats (en moyenne entre 30 et 40 % des cas), les chefs sont nommés directement par les autorités locales pour une période d'un ou deux ans. Pendant cette période où il/elle exerce des
fonctions de direction, il/elle continue d’enseigner selon un nombre d’heures variant selon la taille de l’établissement (entre six et neuf heures par semaine). Il en résulte souvent une double identité : un enseignant qui, lorsqu'il n'a pas de classe, est le chef d’établissement. En même temps, le fait de savoir qu'à la fin de son mandat le chef d’établissement redevient un collègue comme les autres, ce qui conditionne fortement sa propre activité car il peut faire face à quelques problèmes en retour avec ses collègues.
Tout cela soulève la complexité (et la singularité) d'être et d'assumer, en même temps, des tâches quotidiennes d'enseignement et de management pour le chef d’établissement espagnol (double identité). Plus grave encore est la nature hybride d'être, en même temps, représentant de l'administration (centrale ou régionale), chargé de l'application des lois et règlements, et membre du corps enseignant, élu par ses collègues pour les représenter. Dans l'enseignement secondaire en particulier, il est constaté la coexistence d’un modèle d’administration bureaucratique et d’un modèle managérial. Le premier modèle rend la gestion excessivement dépendante des politiques (changeantes et diverses) des différentes administrations, en faisant du chef d’établissement un simple exécutant. De l’autre côté, la direction managériale devient "captive" des collègues ce qui oblige à des négociations et des compromis en permanence.
Dans de nombreux cas, les exigences de l'administration de l'éducation sont incompatibles avec celles des enseignants, à qui les chefs d’établissement doivent leur élection. Cela crée de sérieux dilemmes professionnels dans leur travail au quotidien.
Ce caractère hybride de la posture est souvent une source de tensions et de conflits de rôles, difficilement conciliables chez une même personne, et les arrangements exigés par l'administration peuvent souvent aller à l'encontre des intérêts même de l’établissement.
Entre le représentant de l'administration (centrale ou régionale) et celui qui est élu (et, dans une large mesure, dépendant) par l'ensemble des enseignants, il y a peu de place pour le professionnalisme et, encore moins, pour l'exercice d'un leadership pédagogique. Ce sont ces insuffisances apparues qui ont conduit le ministère de l’éducation à rechercher une amélioration de la qualité de l’éducation en prenant en compte les dimensions pédagogiques.
Plusieurs lois au cours des années 1990 ont marqué le développement et l'évolution future de la direction scolaire.
Un ensemble de mesures ont été prises et maintenues, avec des variations mineures, au cours de ces années : accréditation des compétences et de la formation antérieure du chef d’établissement, rapports d'évaluation sur l'exercice de gestion, élection sur la base d’un projet d’établissement. Un effort de professionnalisation a été mis en œuvre (durée plus longue pour l’exercice du métier, clarification des compétences, carrière professionnelle et incitations financières). Cependant, le manque d'attractivité pour le métier persiste alors que de nombreux décrets-lois au niveau de l'État, suivis de réglementations normatives propres à chaque Communauté autonome (lois, arrêtés, instructions), soumettent l'exercice de la gestion des établissements scolaires à une forte bureaucratie.
Le ministère a toutefois élaboré un cadre professionnel du leadership pédagogique en s’inspirant d’une revue de la littérature internationale et des exemples du Pérou, du Chili mais aussi d’autres pays d’Amérique Latine.
Ce cadre est définie en termes de compétences pour l’exercice d’un bon leadership du chef d’établissement. Ces compétences doivent améliorer le professionnalisme des chefs d’établissement espagnols en clarifiant leurs missions et leurs rôles mais aussi certaines attentes en termes de développement professionnel. Ces dernières
sont considérées comme un instrument stratégique pour améliorer la qualité de l’éducation et la gestion par les résultats. Au-delà d’une vision partagée, il est attendu que la mise en œuvre de ces compétences se fassent de manière participative et consensuelle en impliquant le autorités locales, les associations professionnels, les administrateurs de l’éducation, et les universitaires. L’association espagnole des chefs d’établissement s’est saisie de ces questions pour repenser son modèle de développement de même que ses pratiques professionnelles.
Toutefois, le défi pour les autorités nationales et locales est de garantir une stabilité de la direction scolaire au travers de chefs d’établissement engagés et qualifiés. Cela nécessite de rendre la profession plus attractive, de la doter d’une formation spécifique initiale et continue sur les questions de leadership scolaire mais aussi d’être plus sensible aux enjeux de participation des enseignants, d’évaluation, d’innovation, de coexistence pacifique avec les équipes pédagogiques. Le travail de concertation entre les régions espagnoles, bien entamé, semble encore loin d’être abouti.