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Italie, le chef d’établissement : une autonomie du leadership pédagogique difficile à concrétiser

Publié le 15 septembre 2023

En introduction au colloque international Enjeux et défis du le leadership pédagogique et scolaire au XXIe siècle, l’IH2EF vous propose des présentations du contexte scolaire dans une douzaine de pays, essentiellement européens. Rédigées par Romuald Normand, professeur à l’université de Strasbourg et directeur scientifique de ce colloque, ces présentations permettent de saisir les différents contextes et enjeux scolaires qui seront évoqués par les intervenants.

Le système éducatif italien a été pendant longtemps très centralisé et bureaucratique.

Tous les programmes scolaires étaient prescrits au niveau national, le personnel scolaire (enseignants et chefs d’établissement) était recruté par le biais d'un système de sélection national comme fonctionnaires et les chefs d’établissement ou directeurs d’école comme administrateurs. Un premier changement significatif est intervenu en 1974 avec l'introduction de conseils scolaires aux niveaux local, provincial et national.

Ces conseils ont été mis en place dans le but de déléguer certaines tâches au niveau local, en étant composés de représentants du personnel et de membres de la communauté éducative. L'introduction de cette législation a également entraîné une redéfinition des rôles et des fonctions des chefs d’établissement ou directeurs d’école italiens chargés de mettre en œuvre toutes les décisions prises par le conseil scolaire, tout en coordonnant les innovations pédagogiques et la formation professionnelle continue. Cette réforme a été plébiscitée par les parents d’élèves qui ont fortement accru leur participation dans la gestion des questions scolaires. La loi a rapidement entériné l’idée d’une communauté éducative au sens large associant les parents à la gestion des établissements mais cela s’est heurté à un certain conservatisme de l’administration centrale, des contraintes bureaucratiques, qui ont généré une désaffection progressive des enseignants et des parents.

Néanmoins, la loi de 1997 a consacré l’autonomie de l’établissement scolaire en lui donnant un statut juridique mais aussi une certaine liberté organisationnelle dans la prise de décision, la gestion des nouvelles technologies et des ressources humaines, l’organisation des emplois du temps, l’enrichissement des programmes scolaires et les approches pédagogiques innovantes.

Les établissements ou écoles ont été ensuite invités à élaborer, mettre en œuvre et évaluer leur projet d’établissement ou d’école, à coopérer en réseaux, alors que les structures de gouvernance de l’éducation était davantage décentralisées.

Rompant avec le système d’administration inspirée du modèle français, l’Italie s’est alors engagée dans une régionalisation de l’éducation transformant les établissements scolaires en "communautés ouvertes" centrées sur l’expression des besoins locaux mais aussi les objectifs fixés par les autorités locales.

Ces derniers ont pu alors gérer par eux-mêmes leur offre pédagogique même si leur autonomie demeurait limitée dans la gestion des ressources humaines et financières alors que s’exercent toujours les prérogatives de l’État en ce domaine. En fait, le turn-over des enseignants est relativement important et les établissements ont peu de marge de manœuvre pour contrôler la qualité de l’enseignement. Les chefs d’établissement ou directeurs d’école n’ont aucune possibilité d’influencer la carrière des enseignants et leur promotion, mais ils peuvent attribuer des responsabilités pédagogiques et des charges d’enseignement.

Ces contraintes expliquent que les équipes de direction ont beaucoup de mal à mettre en œuvre un leadership partagé ou distribué. Malgré tout, la loi attend des établissements qu’ils se transforment en communautés d’apprentissage professionnel et que les équipes de direction s’impliquent localement dans la conception des programmes scolaires et les questions pédagogiques. L’enjeu est de faire participer davantage les équipes pédagogiques, mais aussi les élèves et les parents à l’élaboration et au développement du projet d’établissement ou d’école. Il s’agit alors d’analyser l’environnement interne et externe de l’établissement ou de l’école pour conduire à des améliorations pédagogiques, en coopération avec les parents et les autorités locales.

Les établissements ou les écoles peuvent aménager jusqu’à 20% des contenus scolaires pour répondre aux besoins spécifiques des élèves, et proposer un programme d’études extra scolaire en fonction de leurs objectifs.

Ils peuvent, d’après la loi, concevoir leur emploi du temps, adapter la durée de la journée scolaire, déterminer le nombre d’élèves par classe, différencier les heures d’enseignement pour telle ou telle discipline, faire varier les dispositifs pour les élèves en réussite ou en difficultés. Mais de fait, l’octroi de cette autonomie pédagogique se heurte à d’importantes contraintes financières et humaines. C’est une situation paradoxale où il est demandé aux équipes de direction d’utiliser leur autonomie pour développer leur propre projet stratégique mais ils manquent de soutien et d’accompagnement pour le faire. Malgré des lois encourageantes dans le sens de l’autonomisation, il est difficile de stabiliser les équipes pédagogiques et de promouvoir des pratiques collaboratives.

La loi sur l'éducation de 2013 a introduit un nouveau système d'évaluation national dans lequel tous les établissements doivent s’engager dans une démarche d’auto-évaluation couplée à une évaluation externe. Ils doivent aussi améliorer les résultats des élèves dans les évaluations nationales. Mais à partir des résultats de l’auto-évaluation, les marges de manœuvre demeurent limitées pour les raisons déjà susmentionnées. En particulier, les chefs d’établissement ou directeurs d’école n'ont aucun contrôle sur le recrutement et la sélection des enseignants, leur développement professionnel, leur progression de carrière, leur évaluation et leurs rémunérations.

La question se pose donc : Comment les chefs d'établissement ou directeurs d’école peuvent-ils motiver les équipes pédagogiques pour se concentrer sur l'amélioration de l'apprentissage des élèves alors qu'ils n'ont que peu, voire pas du tout, de pouvoir de gestion des ressources humaines ?

En réalité, le nouveau système est basé sur la croyance implicite que les établissements savent trouver par eux-mêmes des sources de motivation de leurs équipes pédagogiques, principalement par des moyens intrinsèques.

Cela implique que les chefs d’établissement doivent développer un style de leadership qui se concentre des objectifs moraux en faisant appel aux vocations et en développant une communauté d'apprentissage professionnel basée sur des principes de collégialité, de confiance, de participation et d’engagement.

Compte tenu d’un manque d'autonomie gestionnaire et financière, l’établissement efficace est potentiellement celui où le chef d’établissement assume un rôle de guide dans le processus d'amélioration de l’organisation pédagogique, en maintenant des attentes élevées en matière d'apprentissage des élèves. 

En fait, si les réformes successives ont permis d’abandonner le rôle bureaucratique du chef d’établissement ou directeur d’école italien pour lui faire endosser des responsabilités managériales, axées sur une gestion par les résultats, alors que la loi stipulait qu’il avait le pouvoir de gérer, coordonner, développer et évaluer les ressources humaines, selon des critères d’efficacité et d’efficience dans les relations de travail, sa responsabilité n’a pas été directement reconnue dans l’apprentissage des élèves, et son leadership demeure surtout légitime dans la promotion d’actions visant à améliorer la qualité de l’éducation, l’usage des ressources de la communauté éducative, tandis que la liberté pédagogique des enseignants est fortement affirmée par la législateur.

Malgré tout, les chefs d’établissement ou directeurs d’école italiens sont de plus en plus appelés à jouer un rôle d’orientation et de coordination des équipes pédagogiques, au delà de l’évaluation, non dans un rapport hiérarchique, de commandement ou de contrôle, mais dans la promotion du travail d’équipes, l’accompagnement et la facilitation des initiatives, la stimulation intellectuelle des enseignants.

Formellement, il leur est reconnu un rôle de management et de leadership dans le cadre juridique qui définit leurs compétences, telles que l’amélioration continue des conditions d’enseignement et d’apprentissage.

Le retour des chefs d’établissements ou directeurs d’école italiens sur la démarche d’autoévaluation a montré qu’ils considéraient que les objectifs fixés étaient trop génériques et hors contexte par rapport à la situation de leur établissement scolaire ou école et de leur communauté éducative. Il leur est difficile, à partir des résultats, d’apprécier les processus d’amélioration de l’organisation pédagogique, de la qualité de l’enseignement et de la communication avec les enseignants. L’usage limité de mesures quantitatives pour traduire les objectifs d’amélioration rend difficile l’évaluation de l’impact de leurs décisions, et en l’absence de retour d’information, la démarche s’apparente davantage à un acte de foi qu’à une réalité opérationnelle. Il est montré aussi que les actions conduites par les chefs d’établissement ou directeurs d’école sur l’organisation pédagogique, suite à ces évaluations, se sont avérées peu efficaces, ce qui a conduit le ministère de l’éducation italien à s’interroger sur la faiblesse de son système d’information pour soutenir la démarche d’auto-évaluation et d’évaluation externe. L’INVALSI (équivalent de la DEPP) a étudié une autre approche de l’évaluation plus centrée sur la qualité tout en tant plus centré sur les apprentissages des élèves, l’amélioration des résultats des élèves, et la diminution du décrochage. Pour soutenir le leadership du chef d’établissement ou du directeur d’école, une base commune de données de références a été pensée par les autorités centrales (un guide de planification du service scolaire). Conduit sur la base d’expérimentations, ce modèle vise à centrer davantage l’évaluation sur l’amélioration de l’organisation pédagogique. Sa mise en œuvre a été retardée par des alternances politiques successives appelant à un changement de ministre de l’éducation.

En Italie, le rôle des chefs d'établissement ou directeurs d’école est malgré tout en pleine évolution, alors qu’ils sont appelés à devenir des acteurs du changement, en se concentrant sur les conditions d'enseignement et d'apprentissage (leadership pédagogique) et en faisant progresser les résultats des élèves.

Toutefois, les structures de gouvernance semblent encore mal adaptées à l’exercice de ces nouvelles responsabilités. Les cadres juridiques ont installé l’autonomie mais elle demeure ambiguë avec un contrôle financier et gestionnaire étroit par l’État, l’absence de développement professionnel des équipes, le manque de responsabilisation des chefs d’établissement ou directeurs d’école dans la gestion des ressources humaines. La contribution des chefs d'établissement ou directeurs d’école italiens dans la promotion d'un climat scolaire propice à l'apprentissage est essentiellement indirecte et axée sur la motivation intrinsèque des enseignants. En fait, l'efficacité du chef d'établissement ou directeur d’école italien dépend essentiellement de sa capacité à créer une vision collective, promouvoir la collégialité, persuader le personnel, soutenir les enseignants, à donner l'exemple, à stimuler l'intellect et à mettre en œuvre d'autres dimensions typiques du leadership transformationnel. Mais les responsabilités administratives accaparent une majeure partie de leur temps de travail, dans une série de tâches et de fonctions fragmentées, et dans l’application des règles, ce qui ne leur permet pas vraiment de se consacrer aux questions pédagogiques. Malgré tout, en 2014, un livre blanc (La Bonne École) a reconnu la nécessité d’attirer de meilleurs enseignants, capables de développer l’innovation et l’évaluation, participant à des programmes de développement professionnel continu, et s’impliquant dans le leadership pédagogique. Il a été aussi recommandé que les chefs d’établissement ou directeurs d’école travaillent davantage avec les enseignants pour influer sur les conditions d’enseignement et d’apprentissage. Pour cela, le livre blanc stipulait que leur formation devait aussi évoluer pour mieux l’adapter à ces nouveaux rôles et responsabilités.

 

Source : Angelo Paletta & Christopher Bezzina (2016) Governance and Leadership in Public Schools: Opportunities and Challenges Facing School Leaders in Italy, Leadership and Policy in Schools, 15:4, 524-542, DOI: 10.1080/15700763.2016.1181186