L'Ontario, quand le leadership conduit au succès de la réforme de l’éducation

Publié le 26 octobre 2023

En introduction au colloque international Enjeux et défis du leadership pédagogique et scolaire au XXIe siècle, l’IH2EF vous propose des présentations du contexte scolaire dans une douzaine de pays, essentiellement européens. Rédigées par Romuald Normand, professeur à l’université de Strasbourg et directeur scientifique de ce colloque, ces présentations permettent de saisir les différents contextes et enjeux scolaires qui seront évoqués par les intervenants.

Au début des années 2000, l’État de l’Ontario, Canada, a mis en œuvre une politique éducative d’amélioration continue de l’éducation, en insistant beaucoup sur le développement des pratiques de leadership, y compris parmi les enseignants, et à tous les niveaux du système éducatif. Cette politique a bénéficié d’une reconnaissance mondiale parce qu’elle a montré une augmentation significative de la réussite des élèves aux évaluations nationales et internationales comme PISA.

Au-delà de la conduite d’une stratégie nationale, c’est toute une théorie de l’action et de l’intervention éducative qui a été élaborée, accompagné par des chercheurs de rang international.

La politique éducative a été définie au regard des inégalités constatées dans le système éducatif en Ontario, avec du décrochage scolaire et de mauvais résultats des élèves en numératie et littératie. L’objectif était d’augmenter les compétences de base de tous les élèves dans une visée d’amélioration de la qualité, avec des exigences plus élevées de réussite (même pour les élèves les plus faibles) et d’équité (réduction des écarts de réussite entre élèves).

Pour cela, le ministère de l’éducation de l’Ontario a décidé de tenir compte des apports de la recherche internationale notamment :

  • de se satisfaire d’un petit nombre d’objectifs mais ambitieux avec un alignement clair des ressources centrées sur ces objectifs, en évitant la dispersion des programmes éducatifs ;
  • le développement des compétences et des pratiques au leadership dans l’ensemble du système, des hauts fonctionnaires jusqu’aux enseignants en charge de projets pédagogiques ;
  • l’expression d’attentes élevées dans l’apprentissage des élèves mais aussi l’apprentissage des professionnels pour conduire les améliorations nécessaires ;
  • un accent mis sur le développement professionnel continu des équipes et l’apprentissage entre pairs ;
  • l'utilisation d’interventions ou d’expérimentations fondées sur des données probantes, c’est-à-dire dont l’efficacité sur l’amélioration de la réussite des élèves a été prouvée largement par la recherche internationale ;
  • un équilibre entre une approche du "pilotage par le haut" et "une autonomie des professionnels par le bas", ainsi que le développement de relations horizontales et transversales sur les territoires éducatifs (travail en réseaux).

La mise en œuvre d’une stratégie nationale

En tenant compte de ces résultats, le ministère de l’éducation de l’Ontario a mis en œuvre une stratégie nationale pour la numératie et la littératie en travaillant non seulement les parcours des élèves mais aussi en :

  • accompagnant l’ensemble du système à travers des partenariats et des interventions adaptées à chaque école/établissement scolaire ;
  • promouvant la collaboration professionnelle entre les équipes pédagogiques, les écoles/établissements et les districts centrés sur l’amélioration des conditions d’apprentissage des élèves (un district est l’équivalent d’un département français) ;
  • mettant en œuvre des programmes de développement professionnel et des ressources dans les domaines jugés prioritaires pour améliorer la qualité de l’enseignement et du leadership ;
  • soutenant la construction de réseaux d’écoles/établissements pour développer et partager des exemples et des pratiques réussies, adapter les stratégies, mais aussi échanger sur les données d’évaluation et les résultats de recherche ;
  • tirant les leçons des systèmes éducatifs les plus performants à travers le monde. La technostructure du ministère de l’éducation de l’Ontario a été révisée pour donner plus de place aux développements de programmes centrés sur les écoles/établissements et l’amélioration continue, c’est-à-dire des hauts fonctionnaires plus centrés sur le changement que sur la production de directives officielles ;

Une coalition d’environ une dizaine de personnes a été créée au sommet de la hiérarchie, c’est-à-dire un groupe de hauts fonctionnaires prenant en charge le développement des compétences collectives et l’appropriation des réformes à l’échelle des territoires, comme d’un système d’évaluation permettant de mesurer les progrès réalisés au plus près du terrain. Tout le travail réglementaire et bureaucratique était mis au service de cette coalition pour s’assurer d’une mise en œuvre efficace des réformes sur le plan juridique, financier, humain, et évaluatif.

Un secrétariat pour la Littératie et la Numératie a été créé pour conduire le changement et améliorer les résultats avec un sentiment d’urgence. Ce secrétariat devait :

  • élaborer et coordonner la stratégie gouvernementale en s’assurant que les programmes et les interventions éducatives avaient un effet au niveau de la classe et dans l’amélioration des résultats des élèves ;
  • donner la possibilité aux enseignants et aux directeurs d’école/chefs d’établissement d’apprendre collectivement et de s’approprier des stratégies par la pratique dans un objectif d’amélioration continue.

L’action du secrétariat était relayée par des équipes régionales travaillant directement avec les conseils scolaires dans les districts : chaque équipe régionale était composée d’enseignants, directeurs d’école, chefs d’établissement, coordinateurs, consultants, cadres intermédiaires. Ces derniers devaient adapter la stratégie nationale au contexte local dans un climat de partenariat et de confiance avec les écoles et les districts, tout en soutenant des démarches d’évaluation précise de l’impact.

Le secrétariat pour la Littératie et la Numératie a aussi intégré des gens du terrain possédant une expérience et une expertise suffisante pour dialoguer avec les hauts fonctionnaires du ministère et s’assurer que le mise en œuvre était efficace, assurant une bonne compréhension du fonctionnement des écoles/établissements et des districts.

L’action au niveau des districts

Au niveau local, chaque district bénéficiait d’un financement et d’un accompagnement pour mettre en œuvre des pratiques de leadership en se concentrant sur les domaines suivants :

  • le recrutement et la sélection de leaders de façon à soutenir une amélioration des écoles/établissements et du système ;
  • le développement professionnel des leaders, notamment par des pratiques de mentorat (au moins pendant les deux premières années de prise de fonction), mais aussi du "shadowing" (suivi journalier) entre leader novice et expérimenté ainsi que l’accompagnement des leaders pour éviter une trop grande dispersion et une cohérence entre les différentes initiatives. Ces pratiques de leadership se sont largement inspirées du référentiel métier de l’Ontario centré sur les compétences au leadership des cadres de l’éducation ;
  • l’évaluation régulière des retours d’expériences et le partage des résultats sur l’apprentissage des élèves.

Les pratiques de leadership se fixaient 5 objectifs communs :

  1. définir les grandes orientations du programme au niveau du district ;
  2. établir des relations de confiance et accompagner les personnes sur un plan individuel et collectif ;
  3. développer l’organisation pédagogique en accompagnant les pratiques souhaitées ;
  4. améliorer la mise en œuvre des programmes d’enseignement en les articulant mieux aux conditions d’apprentissage des élèves ;
  5. assurer le rendre compte des actions menées.

L’accent a aussi été mis sur le développement des compétences cognitives des leaders (centrés sur la résolution de problèmes et la connaissance des interventions efficaces sur l’apprentissage des élèves), les compétences sociales (gestion des émotions) et psychologiques (optimisme, auto-efficacité, résilience).

Au niveau des districts, l’objectif était d’adopter un langage commun et un leadership partagé dans l’appropriation des stratégies d’amélioration et des interventions efficaces. Un plan d’amélioration des écoles et des résultats scolaires était élaboré pour chaque conseil de district, avec une équipe dédiée chargée de faire travailler en réseau les écoles et les districts pour améliorer la pédagogie et le leadership pédagogique.
Ce leadership pédagogique consistait à :

  • observer, décrire et analyser le travail des élèves ;
  • fixer des objectifs et des cibles spécifiques pour l’apprentissage des élèves ;
  • planifier et mettre en œuvre des stratégies d’enseignement spécifiques ;
  • suivre les résultats des élèves et ajuster les stratégies si nécessaire ;
  • soutenir l’apprentissage professionnel des équipes pour améliorer les résultats ;
  • harmoniser les ressources pour atteindre les objectifs ;
  • faire participer les élèves et les parents à l’amélioration de l’école.

En résumé chaque district s’est construit sa propre structure d’ingénierie pédagogique en veillant à mutualiser sa stratégie et son plan d’action avec les autres districts. Il ne s’agissait pas de standardiser un pilotage descendant mais de développer les compétences professionnelles et le sens de la responsabilité des équipes pédagogiques en "déprivatisant les pratiques", selon la formule d’une "chasse au trésor" et non d’une "chasse aux sorcières" (expression d’une dirigeante du ministère) avec une profonde considération pour le travail des enseignants et la valorisation de "pratiques collaboratives".

Diriger depuis le "milieu intermédiaire"

La stratégie de l’Ontario a aussi valorisé une articulation forte entre les trois niveaux : national, district, école/établissement, pour soutenir un développement scolaire local se voulant innovant dans les pratiques de leadership et le partage des pratiques exemplaires. Ces pratiques avaient été identifiées au préalable par la recherche internationale :

  • diriger avec des objectifs et une orientation en termes de cibles à atteindre ;
  • développer le leadership pour l’apprentissage des élèves et l’apprentissage professionnel des équipes pédagogiques comme des directeurs d’école/chefs d’établissement ;
  • construire une vision commune sur les priorités à donner pour la réussite des élèves et des partenariats ciblés sur la classe ;
  • libérer du potentiel et l’énergie du système éducatif local et des écoles/établissements ;
  • Concevoir une stratégie cohérente et coordonnée dans la mise en œuvre et l’évaluation des résultats dans une culture partagée de l’évaluation.

Le leadership mis en œuvre au sein des districts visait à se faire rencontrer régulièrement les responsables de district, les directeurs, superviseurs, accompagnateurs, leaders pédagogiques afin de discuter de manière approfondie des situations d’enseignement et d’apprentissage des élèves et concevoir ensemble des modélisations et des stratégies d’intervention. Ceux-ci faisaient preuve d’une bonne compréhension de la stratégie à mettre en œuvre mais aussi de l’importance de l’accompagnement des équipes pédagogiques orienté vers le changement. Le leadership partagé s’est appuyé aussi sur la reconnaissance de l’expertise individuelle de chacun avec un effort des conseils pédagogiques ou de districts pour se centrer sur l’amélioration des résultats des élèves dans la numératie et la littératie.

Le travail des enseignants et des équipes pédagogiques

Des enseignants-leaders ont été formés pour diriger les enseignements en littératie et numératie, pour soutenir l’amélioration du système, de l’école, de la classe, et renforcer les capacités professionnelles de leurs collègues.

Les cadres intermédiaires ont été une pièce essentielle de la mobilisation des équipes pédagogiques et du travail en réseau des écoles/établissements, en ce centrant sur des programmes de développement professionnel, mais aussi mettre en œuvre les plans et les projets élaborés par les districts.
A l’issue d’une réunion de travail sur la formation des enseignants avec les syndicats, il a été reconnu qu’il était important de soutenir le développement professionnel des enseignants expérimentés et d’offrir des occasions multiples d’apprentissage professionnel entre enseignants.
Un programme spécifique a été mis en œuvre en partenariat avec le ministère et les syndicats afin de renforcer les compétences des enseignants mais aussi partager les expériences professionnelles et les pratiques exemplaires. Les enseignants expérimentés pouvaient s’inscrire en équipes afin de mettre en œuvre un projet innovant et un comité provincial (composé des membres du gouvernement et des syndicats) sélectionnait les meilleurs projets. Les candidats retenus bénéficiaient d’une formation renforcée, d’un accompagnement et d’un financement. Ils pouvaient ainsi bénéficier de sessions de mentorat en présence ou à distance, de discussions avec leurs pairs sur l’avancée des projets dans un partage des expériences et des apprentissages professionnels afin d’assurer la diffusion des pratiques.
Les enseignants identifiaient par eux-mêmes les sujets sur lesquels ils voulaient travailler : les technologies digitales, l’enseignement différencié, la littératie, les mathématiques, l’évaluation des élèves, les élèves à besoins particuliers. Cette nature auto-dirigée du développement professionnel a été considérée comme exceptionnelle et décisive, particulièrement pour les enseignants expérimentés qui se sont engagés dans des activités d’apprentissage professionnel variées : groupes d’apprentissage collaboratifs entre enseignants, engagement dans un dialogue professionnel, opportunités créées de réflexion ad hoc, analyse de données/travail des élèves, analyse de la littérature de recherche, conception d’un temps commun pédagogique, recherche-action, participation à des ateliers, séminaires ou conférences de travail avec un expert ou au sein d’autres organisations.
La majorité des participants ont considéré que ces actions avaient amélioré leurs savoirs professionnels et leur communication entre enseignants, tout en leur donnant de l’énergie, de l’inspiration et un sentiment d’auto-efficacité.
Ces enseignants ont endossé des pratiques de leadership, non de manière formelle, mais par la pratique, dans la façon dont ils apprenaient et innovaient ensemble. La collaboration, la création d’une vision partagée, la planification commune d’un projet et sa mise en œuvre, le développement de nouvelles techniques d’enseignement, ont permis de développer des compétences dans la facilitation, la présentation, la gestion de projets, la communication interpersonnelle ou relationnelle, la résolution de problèmes mais aussi des conflits.
Ce programme de développement professionnel à l’échelle des districts et écoles/établissement travaillant en réseaux a permis de soutenir l’échange des savoirs professionnels, de déprivatiser les pratiques, de partager les situations d’enseignement/apprentissage notamment par des visites respectives de classe, des plans communs de cours expérimentés à plusieurs, le partage de matériel pédagogique et d’outils d’évaluation communs. Toutes ces productions ont été mises sur un site internet dédié.

L’expérience de l’Ontario montre qu’il est nécessaire de bien articuler le pilotage national avec un leadership intermédiaire (au niveau des districts) et un leadership pédagogique (au niveau des écoles/établissements). Il est tout aussi importante d’identifier à l’échelle du district ou d’un réseau de districts ou d’écoles, les principales priorités dans l’amélioration pédagogique tout en veillant à une bonne cohérence et un alignement du système. Le partage des rôles et des responsabilités, de manière transparente, en respectant les savoirs et les pratiques professionnels de chacun apparaît aussi une condition sine qua non. Enfin, l’accompagnement comme le développement professionnel des équipes, en mettant l’accent sur les conditions d’apprentissage des élèves et leurs résultats, sont indispensables.

Plus qu’un pilotage et une hiérarchie entre le haut, l’intermédiaire et le bas, la stratégie mise en œuvre nécessite aussi des réseaux d’interaction et de collaboration entre pairs, des pratiques de collaboration professionnelle et de travail en équipes, de partage des ressources, utilisant les technologies digitales, créant du lien entre les individus et les collectifs de manière plus horizontale que verticale, en valorisant un leadership de, pour, par, et avec toutes les personnes impliquées, y compris les élèves et les parents d’élèves.