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Portugal : quand le leadership accompagne l’adaptation locale des programmes scolaires et des emplois du temps

Publié le 20 septembre 2023

En introduction au colloque international Enjeux et défis du le leadership pédagogique et scolaire au XXIe siècle, l’IH2EF vous propose des présentations du contexte scolaire dans une douzaine de pays, essentiellement européens. Rédigées par Romuald Normand, professeur à l’université de Strasbourg et directeur scientifique de ce colloque, ces présentations permettent de saisir les différents contextes et enjeux scolaires qui seront évoqués par les intervenants.

Le système éducatif portugais dispose d'un réseau d'écoles publiques et privées, qui fonctionnent sous l'administration centrale du ministère de l'éducation.

Le financement des établissements scolaires publics dépend aussi du ministère. La Direction générale de l'administration scolaire (GDSA) gère les enseignants, leur progression de carrière et leur affectation sur une base nationale. La gestion du personnel non enseignant dépend des municipalités.
Au Portugal, les enseignants de l’éducation publique sont des employés de l'État, recrutés et placés par le biais d'un appel d'offres national. Par conséquent, les chefs d’établissement ne peuvent pas choisir leur personnel enseignant. La plupart des écoles publiques portugaises sont organisées en Agrupamentos de Escolas (groupes d'écoles ou clusters). Un regroupement d'écoles est une unité organisationnelle dotée de ses propres organes d'administration et de gestion, composée de différents établissements d'enseignement public, depuis les établissements préscolaires jusqu'aux écoles ayant un ou plusieurs niveaux ou cycles d'enseignement. Le nombre d'écoles/établissements composant chaque groupe ou regroupement peut varier, et certains regroupements comptent plus de cinq écoles, réparties sur une distance relativement importante. Bien que la grande majorité des écoles publiques portugaises soient regroupées en grappes, il existe également des lycées de plus de 1000 élèves qui n'ont été regroupés dans aucune autre école ou établissement.

Le directeur de l'école ou chef d’établissement est le premier responsable de l'élaboration du projet éducatif de l'école et de l'exécution locale des mesures de politique éducative.

Par conséquent, le chef d’établissement ou directeur d’école est responsable de la gestion administrative, financière et pédagogique, et assume également la présidence du conseil pédagogique et du conseil d'administration.

Des réformes pour adapter les programmes scolaires au contexte des écoles/établissements.

Au Portugal, la loi sur l'éducation de 1986 a défini un domaine transversal d'éducation personnelle et sociale des élèves à travers le décret-loi n° 286/89 de 1989. Ce type d’éducation devait être mis en œuvre à quatre niveaux :

  1. dans chaque domaine ou discipline des programmes scolaires ;
  2. à travers des enquêtes interdisciplinaires fondées sur des projets thématiques à l’échelle des écoles ou des établissements ;
  3. au sein d’activités extrascolaires ;
  4. dans une partie distincte des programmes scolaires (dénommé "développement personnel et social").


La loi sur l'éducation a ainsi consacré le fait que l'acte éducatif ne dépendait pas uniquement des programmes scolaires formels mais du degré de participation de l'enseignant, de l'élève, de la famille et de la communauté éducative. Ceux-ci devaient désormais agir dans un environnement favorable à l'élaboration d'objectifs éducatifs crédibles à l’échelon local.

Entre 1989 et 1991, une importante réforme des programmes scolaires s'est ensuite centrée sur une meilleure organisation et modernisation de l’organisation pédagogique dans le système éducatif portugais demeuré jusque-là très centralisé.

Elle a laissé place aux projets interdisciplinaires et locaux pouvant être développés de manière autonome par les écoles ou les établissements, notamment en matière d'éducation personnelle et sociale des élèves. Bien que ces interventions puissent paraitre innovantes à l'époque, elles ont d’abord soigneusement évité d'inclure les enseignants à la prise de décision et la mise en œuvre des programmes scolaires.
Néanmoins, cette période a fait émerger une préoccupation nationale concernant ces programmes, ce qui a donné lieu à un débat national en 1996 et à deux importantes initiatives gouvernementales : la réorganisation des programmes scolaires de l’école élémentaire (1996-2001) et le programme "Bon Espoir" (1998-2001). Ces deux innovations dans le système éducatif portugais visaient à combiner pilotage et autonomie afin de permettre aux écoles/établissements de tirer profit d'une plus grande autonomie dans la reconceptualisation des programmes scolaires, y compris en réorganisant les emplois du temps, et, d'autre part, en exploitant les pratiques réussies d’écoles/établissements sélectionnés pour développer de nouvelles approches pédagogiques.
Enfin, une nouvelle législation (DL6/2001) a été introduite dans le but d'obliger les écoles/établissements à définir leur propre projet local de contenus scolaires ainsi qu’un projet spécifique à l’échelle de la classe, lesquels devaient être adaptés aux différents besoins des élèves. En 2013, alors que le Portugal connaissait des dépenses d'éducation d’éducation supérieures à la moyenne de l’OCDE, soit 6,8 % du PIB national, celles-ci ont diminué dans le budget global de 2015. Le budget national pour l’enseignement primaire et secondaire a été ainsi réduit de plus de 11 %, la principale raison étant la forte diminution du nombre d'enseignants. Certaines des mesures visaient aussi à accroître l'efficacité des dépenses d'éducation en optimisant les heures d'enseignement. Elles concernaient également l'introduction d'une information publique complète et transparente sur les résultats scolaires des élèves par le biais du portail web infoescolas.pt.

Le Portugal a pu alors réduire de près du double les taux d'abandon scolaire précoce (30,9 % en 2009 contre 17,4 % en 2014). Les nouveaux outils introduits en 2013/2014 pour réguler l'absentéisme et les résultats des élèves ont également contribué à lutter contre l'échec et le décrochage scolaire. L’accompagnement en termes de solutions adaptées et sur mesure pour les écoles/établissements afin de résoudre les problèmes d'apprentissage des élèves et améliorer leurs résultats s’est aussi fortement développé dans le programme national pour les zones d'éducation prioritaire (Territórios Educativos de Intervenção Prioritária, connu sous le nom de programme TEIP).

Le projet pilote national “innovation pédagogique”

Au début de l'année 2016, le ministère portugais de l'éducation a émis une directive invitant certains écoles/établissements à mettre en œuvre une série d'innovations pédagogiques dans le cadre d'une intervention appelée Projeto-Piloto de Inovação Pedagógica (PPIP). L'objectif était de créer et de mettre en œuvre des stratégies alternatives pouvant améliorer la qualité de l'apprentissage pour tous les élèves tout en s’attaquant aux problèmes de redoublement.
L'idée était de renforcer l'autonomie des écoles/établissements afin de promouvoir des solutions pédagogiques innovantes au niveau local pour répondre à des besoins spécifiques sans pour autant augmenter les budgets ou changer les conditions de recrutement des enseignants.
Les écoles/établissements pilotes ont alors bénéficié d'une liberté totale pour réorganiser les classes, définir un programme d'études adapté, proposer de nouvelles méthodes de travail, de nouveaux contenus scolaires et horaires. Grâce à cette tentative, ces écoles/établissements se sont efforcés non seulement d'améliorer le taux de redoublement, mais aussi d'offrir une expérience d'apprentissage enrichissante à tous les élèves. Ce fut une occasion de réfléchir en interne et de trouver de nouvelles stratégies innovantes pour traiter des problèmes persistants. En fait, il était demandé aux directeurs d’école et chefs d'établissement de faire preuve de leadership et de concevoir une stratégie et un plan d’action à deux ans tout en ayant une vision claire de l'avenir en termes de projet collectif.

L'importance d'un leadership compétent et adapté a été souligné comme un des aspects fondamentaux de la réussite de ces écoles ou établissements.

Des chefs d'établissement ou directeurs d’école, souvent exceptionnels et expérimentés, ont pris le temps de négocier la mise en œuvre de ces nouvelles mesures au sein de leur établissement ou de leur école, avec le personnel scolaire, mais aussi à l'extérieur, avec les parents, la municipalité et la communauté éducative. L'objectif était de faire en sorte que la pluralité des contextes scolaires soit bien représentée dans le programme pilote national : des contextes variés, des plus défavorisés aux plus exceptionnels, des grands établissements aux plus petits, en milieu rural et urbain, et autant que possible répartis sur l'ensemble du territoire.

Les innovations, différentes d’un territoire à l’autre incluaient :

  1. des transformations dans l’organisation des classes : la liberté de modifier la répartition des élèves d'une manière qui convenait le mieux aux équipes pédagogiques ;
  2. une structuration différente des disciplines scolaires : la répartition des disciplines de manière plus appropriée, y compris en regroupant certaines disciplines ou en les supprimant voire en en proposant de nouvelles ;
  3. une reconfiguration des emplois du temps : une gestion souple de l’emploi du temps des élèves en fonction de leurs besoins. Liberté absolue des écoles/établissements pour réorganiser la durée des cours, ainsi que la division en trimestres ;
  4. une refonte des contenus pédagogiques : la liberté de modifier les contenus pédagogiques, en supprimant les éléments inutiles, en les adaptant au contexte local.

La participation des écoles/établissements au programme pilote national "innovation pédagogique" les a amenés à prendre des décisions cruciales relatives aux procédures et programmes scolaires. Certains d’entre eux ont supprimé l'évaluation annuelle en passant d'une évaluation sommative à une évaluation formative par cycles, en permettant un meilleur alignement et une meilleure continuité des apprentissages des élèves. De même, ils ont pu supprimer la barrière classique entre disciplines en faisant en sorte que des équipes d'enseignants travaillent à la conception de projets, en regroupant plusieurs disciplines, tout en centrant l’apprentissage des élèves sur les compétences et les contextes plus authentiques en rapport au monde réel.

Bon nombre de ces programmes envisageaient de développer la coopération entre enseignants en apportant de vrais changements alors que le degré de participation de la communauté éducative aux prises de décision augmentait. L’idée fut aussi de déprivatiser les pratiques pédagogiques hors de la classe alors que des activités d’enseignement plus flexibles et modulables se centraient sur les apprentissages des élèves. Tous ces changements se sont faits de manière incrémentale avec l’idée d’une responsabilité partagée.

Le développement professionnel des enseignants a été aussi mieux reconnu tout comme l’idée d’un leadership scolaire réflexif et attentif aux apprentissages comme à la réussite des élèves. Enfin, l’accent a été mis sur la collaboration de toutes les parties prenantes à l’échelon local.

Le programme pilote a ensuite été élargi à un plan d’action national 2016-2019, donnant plus de place à l’autonomie et au contexte local pour les écoles et les établissements scolaires au Portugal. Les performances des élèves portugais se sont améliorées de manière significative selon l'étude PISA qui a pu mesurer les évolutions des changements opérés par la nouvelle politique éducative. Un consensus s'est dégagé constatant les effets de la différenciation des pratiques pédagogiques, l'amélioration de l’organisation scolaire, une culture de l'exigence soutenue par le renforcement des contenus scolaires alignés sur des cadres internationaux, des changements de l’évaluation.
Au-delà d’une scolarisation précoce, d’autres facteurs ont également pu jouer comme : une formation spécifique et pédagogique appropriée des enseignants ainsi que le renforcement de leurs compétences et de leur motivation à enseigner ; un meilleur accompagnement des élèves par les parents et les enseignants, une plus grande motivation et persévérance ; des projets éducatifs locaux et intégrateurs faisant participer l’ensemble de la communauté éducative.