Allemagne : le "premier pédagogue" de l’établissement ne fait pas forcément un "leader pédagogique"

Publié le 07 juillet 2023

En introduction au colloque international Enjeux et défis du leadership pédagogique et scolaire au XXIe siècle, l’IH2EF vous propose des présentations du contexte scolaire dans une douzaine de pays, essentiellement européens. Rédigées par Romuald Normand, professeur à l’université de Strasbourg et directeur scientifique de ce colloque, ces présentations permettent de saisir les différents contextes et enjeux scolaires qui seront évoqués par les intervenants.

En Allemagne, l’extension des droits et des devoirs du chef d'établissement comme les transformations des conditions générales encadrant son action font partie d’un arsenal législatif et réglementaire important ces dernières années.

Si la constitution fédérale stipule que l'ensemble du système scolaire est soumis au contrôle de l'État, ce qui empêche une complète autonomie locale alors que les relations sont établies par contrat, selon les principes du fédéralisme, il demeure une grande diversité de situations d’un Lander à l’autre.
Dans la langue allemande, la distinction entre chefs d'établissement et direction scolaire n'est pas toujours clairement établie (en allemand : "Schulleitung" vs "Schulleiterin", respectivement "Schulleiter").

La fonction de chef d'établissement n'est pas normalisée : "chef d'établissement" n'est en rien un titre ou un poste officiel.

Dans le Brandebourg, la Hesse et la Rhénanie-du Nord-Westphalie, la législation fait la distinction entre les tâches de direction scolaire d'une part, et les tâches de chef d'établissement, d'autre part. Berlin, Hambourg et la Basse-Saxe ne prévoient pas de législation spécifique sur les pratiques collaboratives relatives à la direction scolaire.
En Hesse, il est expressément demandé aux membres d'un conseil de direction de coordonner leur travail, notamment en organisant des réunions régulières.
En Rhénanie-du Nord-Westphalie, la législation prévoit que le chef d'établissement collabore avec l'adjoint permanent et d'autres personnes. La loi souligne toutefois que la responsabilité globale du chef d'établissement et sa capacité à prendre des décisions demeurent inchangées.
Dans le Brandebourg, une distinction est faite entre des tâches générales de direction scolaire et les tâches du chef d'établissement. La législation de Berlin, du Brandebourg, de la Basse-Saxe et de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie prévoit des formes élargies, respectivement collégiales, de direction scolaire. Hambourg a renoncé à cette option dans ses textes législatifs.
Dans le Brandebourg, la Basse-Saxe et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la loi stipule clairement que les autorités supérieures de l'État doivent respecter les responsabilités des chefs d'établissement. À Hambourg, la responsabilité de la direction est concentrée sur les épaules du chef d'établissement. Dans tous les autres États, l'accent est mis sur la coopération en matière de direction scolaire, en plus de l'aspect d’une responsabilisation particulière du chef d'établissement. Cela correspond à l'idée que la fonction de direction scolaire est soumise à une responsabilité partagée avec les enseignants.

D’un länder à l’autre, le transfert des tâches de contrôle aux chefs d'établissement se fait de manière différente. Dans la plupart d’entre eux, les chefs d'établissement ont un pouvoir de décision limité, par exemple en matière de recrutement des enseignants.

Même si le personnel est recruté et nommé sur la base d'annonces publiées par un établissement scolaire, le droit de décision ultime appartient à l'autorité scolaire locale.
À Hambourg et en Basse-Saxe notamment, les chefs d'établissement sont déchargés de leurs tâches d'enseignement. Généralement, le temps de travail est d'abord consacré aux tâches de direction ("temps du leadership") ; le mandat d'enseignement est traité de manière subordonnée. Dans tous les autres États fédéraux étudiés, le temps de direction dépend principalement du type et de la taille de l’établissement ou de l’école.
Dans le Brandebourg, par exemple, le temps de direction est de sept heures par semaine dans les écoles primaires, avec 0,6 heure supplémentaire par classe.
En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le temps de direction dépend du nombre de postes d'enseignants à l'école ; en Hesse, il dépend du nombre d’élèves. Néanmoins, le temps de direction prédéfini (ou attendu) peut difficilement être estimé car de nombreux autres facteurs influencent le temps réel, par exemple le modèle de temps de travail (temps partiel ou temps plein), l'âge du chef d’établissement (réduction du temps de travail) et le type de collaboration dans la direction (tâches de direction attribuées à d'autres enseignants que le chef lui-même).

Dans les six Landers susmentionnés, la mise en œuvre de projets spécifiques à l'école ou à l’établissement est directement liée à l'évaluation interne. Les unités éducatives sont tenues de déterminer les objectifs, les priorités et les formes d'organisation de leur travail pédagogique.

Des évaluations internes doivent être effectuées à intervalles réguliers, suivies de la planification de mesures concrètes d'amélioration et d'une mise à jour du projet, si nécessaire. Les projets sont encadrés par la loi dans les six Länder. À Berlin seul, ils doivent être approuvés par les autorités scolaires locales.

Dans ces six Länder, les chefs d'établissement sont responsables de la représentation de l’organisation scolaire à l'extérieur.
Le Brandebourg lie clairement cette représentation aux décisions prises par le chef d'établissement et en interne. En Hesse, la représentation doit être en accord avec le souhait des autorités locales, c’est-à-dire que les tâches de représentation du chef d'établissement ne doivent pas conduire à des conflits d'intérêts avec le Lander.

En outre, les six Landers considèrent que la collaboration avec d'autres établissements/écoles fait partie des tâches et des missions du chef d'établissement.

En Basse-Saxe, des décrets spéciaux déterminent cette collaboration en fonction du type d'école ou d’établissement.
En Rhénanie du-Nord-Westphalie, cette collaboration scolaire s'étend en particulier aux écoles privées.
À Hambourg, la collaboration est institutionnellement intégrée dans des conférences régionales sur l’éducation.

Dans les six Länder, l'obligation de représentation des chefs d'établissement induit un travail de relations publiques, par exemple pour informer les représentants de la presse.
En Hesse, les chefs d'établissement sont liés par les décisions de la conférence (scolaire) et certains accords avec l’autorité locale. Dans le Brandebourg et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les questions particulièrement importantes nécessitent une consultation en interne et/ou de l'autorité scolaire.

Le développement de la personnalité et des compétences des élèves sont des objectifs centraux des chefs d'établissement.

Cependant, la majorité d’entre eux ne mettent pas l'accent sur l'amélioration de l’organisation pédagogique, la poursuite et la mise en œuvre des objectifs pédagogiques. Au contraire, une grande partie du temps - dans la mesure où il n'est pas absorbé par les cours que les chefs d’établissement doivent dispenser aux élèves - est consacrée à des tâches administratives. Les chefs d'établissement sont confrontés à des contraintes temporelles en raison d'activités diverses et très structurées concernant l'organisation et l'administration scolaire, comme la préparation de leurs cours. Ces cadres juridiques, qui stipulent les droits et les devoirs des chefs d'établissement, sont peu adaptés à un leadership pédagogique.

Les études sur les chefs d’établissement en Allemagne peuvent être classés en trois catégories :

  1. une analyse de la charge de travail des chefs d'établissement dans la direction pédagogique,
  2. un recueil de la perception par les enseignants du style de leadership pédagogique de leur chef d'établissement,
  3. la relation entre la direction scolaire et des facteurs significatifs de l'amélioration et de l'efficacité de l’organisation pédagogique.

Brauckmann et Schwarz (2015) ont analysé la charge de travail relative des chefs d'établissement dans différentes tâches en utilisant les données de 153 chefs d'établissement dans des écoles primaires et secondaires supérieures (Gymnasium) dans six Landers.

En moyenne, les chefs d'établissement allemands consacrent seulement 18,64 % de leur temps de travail hebdomadaire à des activités de gestion pédagogique, dans le cadre de leur leadership pédagogique.

Ils consacrent la majeure partie de leur temps à leurs propres cours (32,98 %), puis à des tâches d'administration et d'organisation (19,38 %). Cette absence de leadership pédagogique est aussi présente dans les représentations qu’ont les enseignants du travail du chef d’établissement. Toutefois, des chercheurs allemands ont démontré une influence positive du leadership pédagogique dans les dispositions des équipes pédagogiques à l'innovation et au travail d'équipe. Cette influence positive a été observée notamment dans l’enseignement de l’allemand et des mathématiques. Il semble aussi que le leadership pédagogique ait une influence positive sur le développement des ressources humaines dans l’établissement et sur sa culture d'évaluation. Une autre étude à Hambourg a démontré l’influence directe du leadership pédagogique sur les pratiques enseignantes et indirecte la coopération, la participation, l'amélioration de l’organisation pédagogique, la capacité d'innovation et la satisfaction au travail.

Au fil des années, le système allemand a consacré l'idée que le chef d’établissement est avant tout le "meilleur" des enseignants.

Cette idée est très présente dans l'esprit des décideurs politiques des Landers même si les recherches internationales montrent que le leadership pédagogique est le principal vecteur de l'amélioration des résultats scolaires des élèves. Qui l’emportera à terme de la dimension gestionnaire ou la dimension pédagogique ? Cela reste une question ouverte en Allemagne. Toutefois, il semble que le facteur "pédagogique" tend progressivement à l’emporter sur le facteur "administratif". En effet, comme les chefs d’établissement sont issus des rangs des enseignants, ils demeurent sensibles aux enjeux d’enseignement et d’apprentissage des élèves. En créant une véritable culture pédagogique, par des dialogues avec les enseignants, des observations de classe, il est possible d’atteindre des niveaux plus élevés dans l’amélioration de la qualité de l’enseignement. Encore faut-il que les responsables des systèmes éducatifs régionaux en soient persuadés.


Source : Brauckmann, S. & Schwarz, A. (2015). No time to manage? The trade-off between relevant tasks and actual priorities of school leaders in Germany. International Journal of Educational Management, 29(6), 749–765.