Comme le souligne André Tricot dans son article de 2019 Qu’est-ce que le numérique permet d’apprendre à l’école ?, "par "le numérique" on désigne aujourd’hui un ensemble très hétérogène d’outils, d’applications, de logiciels et de modes d’accès à l’information qui ont en commun l’utilisation du codage binaire des données".
Cette hétérogénéité a été illustrée par les conférences expertes, qui ont porté sur une grande variété d’entrées possibles dans le sujet :
- l’intervention de Philippe Baptiste a été centrée sur la conception et l’usage d’une application au service d’une politique éducative (ParcourSup) ;
- Serge Tisseron et Carina Chatain ont abordé l’élève dans ses rapports aux environnements numériques, ainsi que l’évolution induite dans l’acquisition de compétences et connaissances ;
- Bruno Sportisse et Muriel Brunet ont tous deux questionné les grands enjeux de gouvernance qui se dessinent pour maîtriser notre destin numérique individuel et collectif ;
- Catherine Becchetti-Bizot a, quant à elle, questionné les transformations des postures pédagogiques requises pour un usage pertinent des outils numériques en classe.
Au final, le numérique apparaît bien comme un "fait social total" et comme un rapport nouveau - et en constante évolution - aux savoirs, à l’information et à la communication.
À cette diversité d’approches s’ajoutent les profils et postures très différentes des 25 auditeurs eux-mêmes, qui abordent la question du numérique dans le système éducatif avec des angles et des attentes particulières : réussite de tous les publics, innovation pédagogique, cadrage réglementaire, gouvernance des données, partenariats public-privé, évaluation de la performance, etc.
Cette première session était donc l’occasion pour les auditeurs de tenter de circonscrire l’objet du cycle et de questionner les présupposés de la thématique :
- qu’entendre précisément par "société numérique" ?
- Faut-il considérer que notre société est désormais essentiellement, totalement numérique ? Qu’elle a vocation à l’être de plus en plus ?
- Que cette "société numérique" se caractérise par des modes d’accès supplémentaires à l’information et des modalités d’apprentissage différentes, mais qui ne remplacent pas nécessairement les autres ?
Ce qui est certain, c’est que le numérique est déjà entré dans l’école. Mais l’école est-elle entrée dans l’ère du numérique ?
Les auditeurs auront à cœur de s’interroger sur les caractéristiques pertinentes de cette "société numérique", qui leur a été présentée comme reflétant une culture en concurrence et en opposition marquées avec la culture du livre qui a fondé l’école. Ils auront aussi à cœur d’interroger non pas les pratiques pédagogiques numériques déjà en vigueur, mais plutôt les possibilités et modalités d’évaluation de leur pertinence et de leur plus-value.
Il ressort aussi clairement de cette première session que "le numérique" ne doit pas se réduire aux outils et à leur utilisation pédagogique, mais devenir un objet d’étude en lui-même. En effet, derrière les questions d’éducation aux outils numériques se cachent des enjeux forts, de vigilance par rapport aux données personnelles, par exemple - bien que les données d’apprentissage soient aussi de puissantes alliées pour la réussite des élèves - mais aussi des enjeux de citoyenneté : un usager éclairé qui comprend le fonctionnement de ces outils ne sera pas piégé dans ses biais cognitifs ou dans l’illusion que ces outils sont ‘magiques’.
Une dernière difficulté pour ce cycle riche en défis réside dans la nécessité pour les auditeurs d’anticiper des évolutions nécessairement rapides et de ne pas produire un discours ou des recommandations qui risqueraient d’être "périmées" à peine prononcées…
Article réalisé par :
Elsa Pic, vice-présidente numérique, maître de conférences, Université Sorbonne Nouvelle - Paris
Jean-Sébastien Cambon, enseignant en CPGE - Lycées Pierre-de-Fermat et Saint-Sernin - Toulouse
Arnaud Desjardin, directeur général des services adjoint, U Paris 8 - université Paris 8
Le cycle des auditeurs 2022-2023