Mouhammad Fawaz est doctorant en sciences de gestion et du management au laboratoire VALLOREM de l’université de Tours.
Mouhammad Fawaz a également travaillé sur un mémoire dont le sujet portait sur "les pratiques et les outils des ressources humaines favorisant le pouvoir d’agir des personnes en situation de handicap" dans des ESAT de la région Auvergne-Rhône-Alpes en France.
Mots-clés :
- Leadership inclusif : un style de leadership qui promeut l’inclusion et la diversité au sein de l’organisation, encourage la participation de tous les employés, prend en compte tous les besoins individuels et les différentes perspectives des individus.
- La révélation de la maladie chronique : ce terme renvoie au moment où un employé décide de partager avec son employeur ou son équipe le fait qu’il vit avec une maladie chronique nécessitant une prise en charge pour une longue durée.
- La maladie chronique : une maladie de longue durée, évolutive, visible ou non, qui nécessitera une gestion à long terme. Dans cet article, nous abordons les maladies chroniques invisibles, comme le diabète, les maladies cardiaques, la sclérose en plaque, etc.
- Le management par le care : c’est une approche en science de gestion répandue ces dernières années, qui met en évidence le bien-être de l’employé en satisfaisant ses besoins personnels et émotionnels. Ce management valorise la reconnaissance, l’écoute, l’accompagnement et le soutien des collaborateurs.
La maladie chronique : entre le silence et la révélation au travail
Les maladies chroniques sont en constante augmentation et sont aujourd’hui considérées comme un enjeu majeur de santé au travail. Une étude réalisée en 2023 par l’agence nationale de santé publique en France portant sur les adultes et leur avancée a montré "qu’entre 30 et 39 % des personnes de plus de 25 ans cumulent au moins deux pathologies chroniques".
La définition de la maladie chronique diffère selon les sources, ce qui impacte les dispositifs de prise en charge des patients.
- L'Organisation mondiale de la santé (OMS) la définit comme "une affection qui se développe lentement, persiste sur le long terme et peut entraîner des complications graves et nécessite une prise en charge sur plusieurs années".
- En France, le ministère de la Santé la définit comme "une maladie longue, évolutive, impactant la vie quotidienne et pouvant causer des incapacités sérieuses".
- Le Haut Conseil de la santé publique précise qu'elle "nécessite un suivi médical, des soins psychologiques et une surveillance particulière".
La gestion quotidienne d’une maladie chronique ne se limite pas à l’aspect médical, elle implique également des ajustements en matière d’organisation et d’emploi du temps pour concilier soins et gestion des symptômes. Cela amène les personnes concernées à repenser leur mode de vie, en réduisant certaines activités physiques ou en modifiant leurs habitudes. Ces personnes peuvent par exemple avoir besoin de pauses régulières pour favoriser leur récupération. Leurs objectifs professionnels et leurs capacités de travail peuvent évoluer, impactant ainsi leur parcours professionnel (Beatty et Joffe, 2006). Cela souligne les défis liés au fait de ne pas révéler sa maladie à son employeur et les conséquences négatives que cela peut avoir sur le plan professionnel.
Ainsi, le choix de révéler une maladie chronique dépend de plusieurs facteurs que nous présentons d’une manière non exhaustive.
Certaines personnes atteintes de maladies chroniques refusent de révéler leur état de santé parce qu’elles rejettent vigoureusement les représentations de malades passifs ou victimes, qui impacteront leur identité et les enferment dans un rôle qu’elles refusent. Pour cela, elles se trouvent dans une situation où elles mobilisent leurs énergies et leur ingéniosité pour faire face à leur symptômes et traitements dans le travail (Lhuilier & Waser, 2016). D’autres prennent la décision de ne pas révéler leurs maladies chroniques au sein de l’organisation par crainte d’être discriminé ou stigmatisé, d'être placardisé par leur entourage, craignant parfois d'être au chômage (Portsmouth, 2016) ou encore de se retrouver en difficulté à rechercher un emploi et à pouvoir s’y maintenir (Amrous et Barhoumi, 2012).
Par contre, il existe des personnes atteintes de maladies chroniques qui décident de révéler leur état de santé et entamer ce qu’on appelle le "traitement juridique de la maladie" (Célérier, 2008, p.2), permettant à la fois de bénéficier de certains droits et certaines pratiques innovantes par différents acteurs (Bonneveux et al., 2020), comme l’accès aux arrêts maladie, aux aménagements d’horaires, à la reconnaissance d’inaptitude ou d’invalidité ainsi qu’à la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Finalement, des recherches réalisées par Ghin et Adamovic (2023) dans la revue Business Harvard Review ( 2023) sur le sujet de la révélation de la maladie chronique a montré que, si les organisations encouragent les leaders à être transparents concernant leur état de santé, elles doivent leur assurer un environnement de sécurité psychologique et démontrer leur volonté de mettre en place des aménagements afin que les employés puissent poursuivre leur carrière sans discrimination en raison de leur maladie.
Ainsi, le sujet de la révélation de la maladie chronique soulève des enjeux importants sur la manière dont les organisations soutiennent les employés dans de telles situations. Ce questionnement nous amène à aborder un aspect principal : l’importance du leadership inclusif. En effet, un leadership qui promeut l’inclusion, qui crée un environnement de travail sécurisé et ouvert, est indispensable pour permettre à tous les employés, quelles que soient leurs conditions, de se sentir soutenus, valorisés et de continuer à évoluer professionnellement.
Le leadership inclusif : un levier essentiel pour l’inclusion des employés atteints de maladies chroniques
Le leadership inclusif a été défini comme un ensemble de comportements de leader visant à faciliter le sentiment d’appartenance des membres du groupe et à préserver leur sens de l’individualité tout en contribuant aux processus et aux résultats du groupe (Randel et al., 2018 p.191). Dans les organisations diversifiées et inclusives, les dirigeants montrent l’aisance avec la diversité (Korkmaz et al., 2022), modifient les règles pour assurer une application étendue (Wang & Shi, 2021), créent des opportunités pour le dialogue sur et à travers les différences et encouragent l’authenticité chez les autres.
Les recherches sur le leadership inclusif tournent souvent autour de la relation entre le leader et ses collaborateurs, en mettant en lumière l’importance de ces relations sur leur perception de l’inclusion (Shore et al., 2018). De même, une étude longitudinale à trois vagues réalisée pour examiner la relation entre l’échange leader-membre et l'inclusion, a montré que des relations de qualité élevée entre le superviseur et l'employé étaient associées à une augmentation des sentiments d'inclusion 6 et 12 mois plus tard (Brimhall, 2017).
À cet égard, nous citons des comportements spécifiques tels que l’équité, la justice, le soutien aux membres, la prise de décision partagée qui jouent un rôle central (Randel et al., 2018).
Ainsi, pour approfondir cette dimension relationnelle du leadership inclusif, il est pertinent de se tourner vers le modèle du management par le care, qui met l’accent sur la bienveillance, l’écoute active, la prise en compte des besoins individuels. Ce modèle crée un environnement de travail propice à l’épanouissement personnel et collectif en soutenant les employés dans des contextes sensibles comme celui des maladies chroniques.
Le management par le care : un outil de soutien détenu par un leadership inclusif, facilite la révélation de la maladie chronique.
L’éthique du care en management représente une "invitation" à repenser le management traditionnel, tel qu’il est enseigné dans les écoles et appliqué dans les entreprises (Meyronin et al., 2019). Ce type de management permet aux managers d’accorder une attention particulière aux besoins individuels des employés, créant ainsi un environnement propice à un humanisme managérial. L’adoption de cette approche améliore l’image de l’entreprise, l’efficacité collective, renforce l’engagement des employés, en mettant en valeur chaque individu au sein de l’organisation (Meyronin et al., 2019).
Tronto (2008) rappelle que le care, en tant que processus, commence par la reconnaissance d’un besoin : to care about. Cela implique d’accorder une attention portée à l’autre, qu’il s’agisse d’un collaborateur ou d’une équipe. C’est cette relation qui enrichit notre compréhension du care. Ainsi, le manager ne se limite pas à prendre soin de son équipe au sens traditionnel, il cherche plutôt à identifier ses besoins, ses désirs d’apprentissage et ses aspirations à l’autonomie (Fronty et al., 2023).
Pour mettre le care en action, Fisher et Tronto (1991) ont distingué quatre phases analytiques, chacune reliée à une qualité morale spécifique (Dubost, 2019) :
- "se soucier de" (care about) : il s’agit de reconnaître le besoin de l’autre et d’y répondre, la qualité morale ici est l’attention à l’autre ;
- "se charger de" (taking care of) : cette phase consiste à assumer une part de responsabilité pour le besoin identifié et à le satisfaire à travers une action collective, la qualité morale est la responsabilité ;
- "accorder des soins" (care giving) : à ce niveau, les personnes assurant les soins entrent en contact avec les personnes concernées, c’est-à-dire celles ayant un besoin particulier ;
- "recevoir des soins" (care receiving) : ici, les personnes soignées réagissent aux soins qu’elles reçoivent. Il est essentiel de vérifier que les besoins initiaux ont été bien identifiés et que les soins fournis répondent aux attentes. Cela permet d’évaluer l’adéquation entre les attentes et les réalisations.
En conclusion, la gestion de la maladie chronique, entre sa révélation et le choix de garder le silence, est un enjeu délicat que le leadership inclusif peut accompagner avec succès. En effet, un leadership inclusif crée un climat de confiance et de soutien où les employés, notamment ceux atteints de maladies chroniques, se sentent valorisés réduisant ainsi leur stigmatisation. Le management par le care, en tant qu’outil de leadership inclusif, offre un soutien personnalisé favorisant ainsi la confiance pour que les employés se sentent capables de révéler leur maladie. Ce modèle de management facilite donc la révélation de la maladie chronique, en apportant sécurité, écoute et soutien aux employés atteints de maladies chroniques.
Cet article est extrait du dossier RH partagée.
Bibliographie
- Amrous, N., & Barhoumi, M. (2012). Emploi et chômage des personnes handicapées. Synthèse. stat, 1 ;
- Beatty, J. E., & Joffe, R. (2006). An Overlooked Dimension Of Diversity : The Career Effects of Chronic Illness. Organizational Dynamics, 35(2), 182‑195 ;
- Bonneveux, E., Hulin, A., & Ventolini, S. (2020). Éditorial–Pour une approche inclusive de la GRH. @ GRH, 37(4), 9‑12 ;
- Brimhall, K. C. (2017). Improving the Quality of Health Care Services through Inclusive Leadership in a Diverse Organizational Context [PhD Thesis, University of Southern California] ;
- Célérier, S. (2008). Santé précaire au travail : Quelques perspectives sociologiques. Connaissance de l’emploi, 56 ;
- Dubost, N. (2019). Que peut apporter l’éthique du care aux recherches en management? L’exemple des salariés aidants. Gestion 2000, 36(4), 69–85 ;
- Fronty, J., Turnau, A.-L. G., Glaser, A., & Malas, Z. (2023). Comment l’éthique du Care peut-elle offrir de nouvelles perspectives à la recherche en sciences de gestion? Deuxièmes journées pluridisciplinaires K-or ;
- Ghin, P., & Adamovic, M. (2023). When leaders disclose a chronic illness at work. Harvard Business Review ;
- Korkmaz, A. V., Van Engen, M. L., Knappert, L., & Schalk, R. (2022). About and beyond leading uniqueness and belongingness : A systematic review of inclusive leadership research. Human Resource Management Review, 32(4), 100894 ;
- Lhuilier, D., & Waser, A.-M. (2016). Que font les 10 millions de malades? : Vivre et travailler avec une maladie chronique. Erès ;
- Meyronin, B., Grassin, M., & Benavent, C. (2019). Replacer vraiment l’humain au cøeur de l’entreprise : Le management par le care. Vuibert ;
- Portsmouth, K. (2016). Révéler sa maladie chronique au travail... : Pourquoi, comment, avec quels effets? Faire avec les drogues, 169‑180 ;
- Randel, A. E., Galvin, B. M., Shore, L. M., Ehrhart, K. H., Chung, B. G., Dean, M. A., & Kedharnath, U. (2018). Inclusive leadership : Realizing positive outcomes through belongingness and being valued for uniqueness. Human resource management review, 28(2), 190‑203 ;
- Shore, L. M., Cleveland, J. N., & Sanchez, D. (2018). Inclusive workplaces : A review and model. Human Resource Management Review, 28(2), 176‑189 ;
- Tronto, J. C. (2008). Du care. Revue du MAUSS, 32(2), 243–265 ;
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