Qu’est-ce que la littératie numérique ? Entretien flash avec Magali Brunel

Publié le 29 juin 2023

Magali Brunel est maître de conférences en sciences de l'éducation, spécialiste en didactique de la lecture et de l'écriture. Ses travaux portent notamment sur l'enseignement de la littératie numérique.
Nous l’avons rencontrée à Nice en octobre 2022, dans le cadre du séminaire "Apprendre dans un monde numérique : regards croisés sur la pédagogie et la didactique" du cycle des auditeurs. Elle a accepté de répondre aux questions que nous lui avons posées sur la littératie numérique.

Entretien réalisé en octobre 2022 par Gwenaëlle Boucher, ingénieure en e-formation à l'IH2EF.

picto dialogue Pourquoi vous intéressez-vous à la littératie numérique ? 

Magali Brunel : Les études d’IPSOS et de l’Observatoire national de la lecture (ONL) ont montré que les adolescents passent plus de 8h par semaine sur internet, à lire, écrire, ou visualiser des contenus dans le cadre de leurs loisirs, Contrairement à ce que l’on entend parfois, ils lisent et écrivent plus que jamais, mais effectivement ils le font surtout sur écran ! Parallèlement, à l’école, les attendus vis-à-vis des activités sur écran sont de plus en plus forts.
La question qui se pose alors est : où et comment, les élèves apprennent-ils à lire et à écrire dans les environnements numériques ? Et quelles sont les compétences spécifiques nécessaires ? 

picto dialogue Qu’est-ce que la littératie numérique ?

MB : Les compétences sollicitées lorsque l’on utilise l’écrit en contexte numérique relèvent de ce que l’on nomme la littératie numérique. Ce concept est en fait une déclinaison de celui de littératie, que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit ainsi :
"l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités".
La littératie désigne le lire et l’écrire dans la vie quotidienne, et non pas seulement dans la phase d’alphabétisation qui est celle de l’apprentissage de la lecture. Elle concerne l’ensemble des modes langagiers et inclut les modes sonores, visuels, ou cinétiques. Enfin, elle se développe à travers une grande variété de genres et de supports et pas seulement sur papier. Lorsqu’on parle de littératie numérique, on parle donc d’une partie de la littératie, celle qui se manifeste dans des contextes numériques.

picto dialogue La littératie numérique, c’est quelque chose qu’on peut apprendre ?

MB :  Oui. Elle mobilise 3 types de compétences :

  • d’abord des compétences technologiques, c’est à dire la manipulation des supports, la compréhension des fonctionnements de l’écriture et de la machine ;
  • ensuite des compétences liées à la prise en compte de la situation de communication, et à la capacité à exercer son esprit critique sur cette situation ;
  • et enfin des compétences langagières et sémiotiques : les genres numériques, et les modes langagiers qui sont sollicités de manière articulée avec leurs codes sémiotiques spécifiques, et des manières de lire particulières, non linéaires et interactives.

Ces compétences sont complexes, ce qui fait de la littératie numérique une maîtrise exigeante. Mais, cette notion est aujourd’hui absente des programmes et ces compétences ne sont pas véritablement enseignées. 

picto dialogue Alors quels risques identifiez-vous ?

MB : II s’agit d’une fracture numérique d’un nouveau genre. L'école a un rôle important à jouer dans l'apprentissage de ces nouvelles littératies pour permettre le rapprochement des cultures et éviter des "fractures numériques" qui peuvent être plus cognitives que matérielles. C’est ce que nous défendons dans différentes publications, notamment co-écrites avec François Quet.
Enseigner la littératie numérique, c’est prévenir le risque d’une fracture numérique, qui ne serait plus celle du matériel mais celle des ressources et des compétences que peuvent mobiliser des élèves. C’est aussi agir contre les inégalités sociales.
C’est tout l’enjeu des travaux des chercheurs sur ce concept qui doivent nourrir les enseignants dans leur approche de ce nouvel objet d’enseignement, et d’une réflexion institutionnelle sur la prise en compte de ces compétences dans les programmes et la formation.

 

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