Bannière cycle des auditeurs de l'IH2EF 2020-2021

Séjour d'étude en Guyane - Cycle des auditeurs 2020-2021

Publié le 25 octobre 2021

Les auditeurs du cycle 2020-2021, engagés sur l’étude "Éducation, formation et territoires" ont réalisé un séjour d’étude du 18 au 25 septembre 2021 au sein de l’académie de Guyane, consacré à l’expérience des parcours scolaires des jeunes résidants dans un territoire aux caractéristiques uniques sur le territoire français : les berges françaises du Haut Maroni. Vous trouverez ci-dessous un extrait du rapport réalisé dans le cadre de ce séjour.
Le rapport d'étonnement du Cycle des auditeurs 2020-2021 a été remis au Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports le mardi 26 octobre.

La construction du parcours d’un jeune le long du fleuve en Guyane

Séparés en quatre groupes le long du fleuve Maroni, de Providence à Pidima, nous avons choisi d’observer ce vaste territoire à travers le prisme des parcours scolaires, de l’école primaire à l’enseignement supérieur. L’étonnement commun qui se dégage de notre séjour en Guyane porte sur le décrochage massif des jeunes, dont le parcours scolaire est marqué par autant d’obstacles et de ruptures que le Maroni peut compter de sauts.

Dans ces territoires isolés et peu densément peuplés, la durée, le coût et la nature des transports scolaires, l’aménagement des rythmes scolaires et l’absence de restauration ont des conséquences importantes sur le vécu des élèves. Mais la rupture majeure intervient en fin de collège du fait de l’absence de lycée et de structures de formation, les élèves du Maroni sont amenés à quitter jeunes leur famille pour rejoindre le littoral : ils y sont accueillis en internat ou dans une famille d’accueil et ne rentrent dans leurs villages, pour la plupart, que sur le temps des vacances. Ces séparations spatio-temporelles contribuent à éloigner un peu plus le système scolaire de l’univers physique et mental des familles.

Nos visites d’établissements scolaires, nos rencontres avec les acteurs de terrain, les familles et les élèves du fleuve, nous ont permis d’identifier nombre de lacunes et parfois défaillances, qu’elles soient humaines, matérielles ou structurelles, aboutissant à un réel déficit des services liés à la scolarisation sur le fleuve Maroni.

En matière d’égalité des chances et de droit à l'Éducation, les besoins en Guyane sont immenses et ne semblent pas rencontrer des moyens à la hauteur de leur importance et de leurs spécificités. Les rapports sur la question s’accumulent et tous disent l’urgence de la situation: infrastructures scolaires saturées par la croissance démographique, pénurie d’enseignants titulaires et formés, faible maîtrise du français du fait d’une allophonie majoritaire des élèves étrangers comme des élèves autochtones, grande altérité culturelle -en particulier en ce qui concerne le rapport à l'École -, retard dans les résultats aux évaluations nationales et décrochage notable en terme d’assiduité scolaire.

En dépit de l’implication de nombreux professionnels rencontrés et de l’empathie inspirée par les élèves croisés, nous choisissons de souligner la difficulté de vivre et faire vivre le statut d’élève qui est un problème au moins aussi marquant que l’absence de solution pour le traiter.

Caractéristiques de la Guyane

Esquisser certaines des caractéristiques du territoire guyanais permet de mieux appréhender sa singularité. Située à plus de 8000 km de la France hexagonale, la Guyane est un territoire grand comme la Nouvelle-Aquitaine (près de 84 000 km2) pour une population peu nombreuse (un peu moins de 280 000 habitants) et essentiellement concentrée sur le littoral. Les trois pôles urbains que sont l’agglomération de Cayenne, celle de Saint Laurent du Maroni et, dans une moindre mesure, de Kourou polarisent populations et activités économiques du département.

L’intérieur du territoire, soit 95% de la Guyane, est très peu peuplé avec une densité inférieure à 1 hab/km2. Cette opposition se traduit d’ailleurs dans les expressions couramment utilisées : “Guyane du littoral” et “Guyane de l’intérieur”. Ici, les distances à prendre en compte ne relèvent pas uniquement de la distance-métrique, mais davantage de la distance-temps (qui elle-même peut fortement varier dans l’année au gré des saisons), de la distance-coût et de la distance représentationnelle.

Le système éducatif guyanais tel qu’il nous apparaît aujourd’hui peut être considéré comme récent. Du point de vue institutionnel tout d’abord : avant la création de l’académie Antilles-Guyane en 1984, les départements de la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique étaient confiés à des vice-recteurs rattachés à l’académie de Bordeaux. Ce n’est qu’en 1997 qu’est fondée l’académie de Guyane.

Par ailleurs, la scolarisation des élèves sur le fleuve Maroni est plus récente encore : Alexandra Vié note qu’il faut attendre les années 1960, pour que des écoles publiques soient créées dans les communes de l’intérieur de la Guyane (en 1968 à Maripasoula, 1972 dans le village de Twenké, 1984 à Antecume Pata et 1998 à Pidima, dernier village en amont du Maroni). Les conditions d’éloignement entre certains villages isolés et les établissements scolaires de rattachement sont extrêmes, même si de telles situations peuvent être rencontrées ponctuellement dans d’autres collectivités ultra-marines et dans l’hexagone.

De surcroît, les caractéristiques socio-économiques de la population scolarisée confèrent à la quasi-totalité des établissements guyanais des premier et second degrés le statut d'Éducation Prioritaire renforcée (REP+). Enfin, s’agissant de l’enseignement supérieur, alors que la tendance actuelle en France hexagonale est marquée par la fusion des universités, l’Université Antilles-Guyane créée en 1982, connaît une scission en novembre 2016 donnant naissance à l’Université de Guyane.

Les questions d’éducation et de formation constituent donc des enjeux majeurs pour le territoire guyanais en termes de :

  • développement économique et social qui s’expriment par les importantes attentes exprimées par la population guyanaise.
    Celle-ci n’hésite pas à se mobiliser afin d'interpeller les pouvoirs publics, comme lors des manifestations de 2017, qui ont débouché sur les accords de Guyane avec la signature du protocole "Pou Lagwiyann dékolé" ("Pour que la Guyane décolle").
  • construction politique puisque les institutions et rouages administratifs, tant du côté scolaire et universitaire que du côté de la collectivité territoriale, peuvent être qualifiés de "jeunes". Les modalités de fonctionnement et le positionnement des uns par rapport aux autres constituent un chantier de grande importance afin de faire vivre la République française sur ce bout d’Amérique latine.
  • adaptation du système scolaire étant donné la diversité socio-culturelle et linguistique de la Guyane : une réalité fondamentale à prendre en considération comme l’ont bien montrée Sophie Alby et Jeannine Ho-A-Sim. Élèves amérindiens (Galibis, Arawaks, Wayanas, Emerillons, Wayampis et Palikurs), bushinengues (Djukas, Paramakas, Bonis et Alukus), créoles, population chinoise et hmongs, auxquels s’ajoutent les populations issues des divers flux migratoires venant des pays voisins tels que le Brésil ou le Suriname, se côtoient sur les bancs de l'École guyanaise, qui sans doute plus qu’ailleurs, doit relever le défi d’être le creuset des valeurs de la République.

Le cycle des auditeurs 2020-2021