Romuald Normand
Chercheur sur la comparaison des systèmes éducatifs et des organisations scolaires
section 19 du Conseil National des Universités (sociologie, démographie).
Romuald Normand accompagne depuis plusieurs années des équipes pédagogiques, des formateurs et des cadres de l'Éducation nationale dans des démarches d'innovation et d'expérimentation. Auteur prolifique, il a publié avec François Muller en 2013 "La grande transformation" où il appelle à plus d’autonomie et d’émancipation des unités éducatives pour permettre le développement professionnel des acteurs, en particulier pour les apprentissages collectifs.
On peut citer également ses activités européennes et internationales centrées sur l’étude du leadership en éducation.
Animer les projets et les collectifs : les vertus de "l’ami critique"
Soutenir la réflexivité et l’apprentissage collectif
La construction de compétences collectives n’est pas autre chose que la création d’expériences et d’occasions communes d’apprendre ensemble et de soutenir un développement professionnel continu centré sur l’apprentissage des élèves. Les discussions entre enseignants se centrent souvent sur leurs savoirs académiques et compétences professionnelles dans une discipline. Pourtant, comme le montre l’expérience de la cheffe d’établissement, d’autres compétences collectives, bien que moins ouvertement discutées dans les collectifs pédagogiques, concernent les pratiques pédagogiques, les représentations des missions fondamentales des enseignants et les rôles dans les situations de classe. Elles comprennent également une capacité à envisager l’évolution de sa posture pédagogique, à reconsidérer son rapport à sa discipline d’enseignement. Précisément, un "ami critique" aide à activer la réflexion individuelle et le débat collectif sur ces dimensions.
Comme le montre la direction impulsée par la cheffe d’établissement, lorsque l’objectif est de créer un environnement favorable au développement des compétences collectives et du travail en équipes pour lequel l’auto-évaluation aide le projet d’établissement ou d’école, alors un accompagnement par un "ami critique" (inspecteur, formateur, universitaire, autre chef d’établissement, personne extérieure à l’éducation nationale) est de nature à faciliter la démarche. L’évaluation entre pairs peut être aussi un processus intégré, l’important étant de comparer et de discuter sur la base de données comparatives fiables et complémentaires. La façon dont les enseignants perçoivent la démarche aura aussi une influence ce qui oblige, comme on l’a vu précédemment, la direction de l’unité éducative à construire la confiance avec les équipes pédagogiques et à rechercher un consensus.
Le changement comme un processus social
Une des raisons majeures des échecs en matière de changement est l’insuffisante attention apportée au processus lui-même. L’interprétation et la mise en œuvre du changement ne sont pas directes : c’est un processus social et pas seulement technique ou instrumental. Même si les objectifs sont clairs, le changement peut échouer en raison d’une absence de circulation des informations aidant les individus et les équipes à attribuer une réelle signification aux évolutions attendues et à l’absence d’une évaluation régulière. Cette évaluation n’est pas une fin en soi mais une contribution à la trajectoire d’évolution.
Quelle place pour l’auto-évaluation dans ce processus ?
Certes, les membres de la communauté scolaire doivent respecter des normes officielles, dont l’évaluation fait partie. Mais l’auto-évaluation donne surtout l’occasion de faire réfléchir aux changements possibles en interne. Elle permet aussi de nourrir la réflexion et la discussion pour construire le projet d’établissement et l’améliorer. Ainsi l’établissement peut s’engager dans un cycle d’amélioration continue en tenant compte de son environnement local. Il est alors important de décrire le contexte spécifique de l’établissement et de s’intéresser aux domaines suivants : réussite des élèves, qualité de l’enseignement, climat scolaire et sécurité, mais aussi direction scolaire, décrochage, citoyenneté et esprit civique, relations avec les parents, etc.
La démarche même d’auto-évaluation exerce des effets sur les capacités de l’unité éducative à changer. Les modalités par lesquelles la direction scolaire accompagne cette transformation sont décisives, notamment quand elles facilitent des collaborations enseignantes centrées sur l’amélioration des pratiques d’enseignement.
La fixation d’attentes et d’objectifs clairs par le corps d’inspection et le retour d’information sont indispensables pour que les individus et les équipes donnent sens aux évolutions attendues, tout comme peuvent y contribuer les attentes exprimées par des partenaires de l’établissement.
Le retour d’information, selon qu’il est positif ou négatif et plus ou moins accepté par les équipes pédagogiques, n’est pas une variable neutre. La façon dont l’inspection se rend présente, exprime et fait partager ses logiques, mobilise des pratiques ouvertes ou fermées de l’auto-évaluation, le développement effectif ou contrarié des compétences collectives, et l’action transformatrice du chef d’établissement, forment des systèmes et des plans de transformation qui, bien qu’impeccables sur le papier, peuvent s’avérer engendrer des effets dynamiques décevants. Dans la plupart des recherches sur les systèmes d’inspection, il ressort qu’il ne suffit pas d’additionner, pour la forme, inspection et auto-évaluation. Leur articulation véritable et la dynamique de changement de l’établissement sont considérées comme essentielles. Les études prouvent que cela produit des effets sur les pratiques d’enseignement dans la classe.
Le succès de de la démarche d’auto-évaluation pour conduire le changement, qu’elle soit imposée ou mise en œuvre délibérément par l’unité éducative, dépend largement de la manière dont elle est mise en œuvre au quotidien. Si elle est vécue comme le pré carré du chef d’établissement ou de l’équipe de direction, sans que l’ensemble de la communauté scolaire se la soit appropriée, elle a peu de chances d’être efficace. De même si elle tend à surinvestir le contrôle au détriment du développement professionnel des équipes. Il y a donc des questions à se poser avant d’introduire le changement.
Se poser les bonnes questions
- Est-ce que ce changement est important ?
- Pour quelles raisons concrètes est-il vraiment nécessaire ?
- Quelles en sont les priorités ?
- Est-ce qu’il y a d’autres façons de voir le changement ?
- Qui va en bénéficier ?
Une question se pose également en matière de conduite du changement et de son évaluation : est-ce que les objectifs visent à générer un développement professionnel et personnel des équipes, une amélioration de l’organisation, ou à contrôler des pratiques et des prescriptions ? Est-ce que le changement s’appuie sur une dynamique flexible et ouverte ?
Évidemment, ces questions ne recevront pas la même réponse si les membres de la direction se les posent exclusivement entre eux pour ensuite communiquer auprès des équipes ou si ces équipes ont la possibilité de venir, dans un premier temps, jeter le trouble en réagissant à leur manière à partir de leur propre point de vue. Ce qui est nécessaire, ce qui est positif ou négatif, l’unicité ou la pluralité des voies possibles, tout cela suscite inéluctablement du débat. L’auto-évaluation est une occasion de l’instruire plutôt que de tenter de le circonvenir par des efforts de communication qui ne l’empêcheront pas de se développer à bas bruit.
Si la responsabilité de la démarche d’auto-évaluation incombe à l’équipe de direction, le plus souvent elle associe l’ensemble de la communauté scolaire, y compris les élèves et parents d’élèves. Cela permet d’avoir une vision plus large des forces et des faiblesses de l’organisation scolaire. Les entretiens avec les élèves sont souvent bénéfiques pour changer la vision des enseignants qui peuvent aussi rendre compte plus précisément des difficultés rencontrées par les élèves et des enjeux en termes d’apprentissage. Il est important que les échanges soient favorisés pour sortir d’une perspective seulement centrée sur le contexte de la classe. L’organisation de groupes de discussion est une étape essentielle pour aller vers des pratiques collaboratives. Des groupes plus spécifiques peuvent être ensuite créés pour organiser la démarche d’auto-évaluation. Les parents peuvent être contactés au téléphone ou invités à des réunions spécifiques : ils peuvent témoigner du travail à la maison, de l’accompagnement des élèves en dehors de la classe, des attentes en termes d’enseignement et d’évaluation des élèves.
L’auto-évaluation peut soutenir le développement d’une communauté d’apprentissage professionnel. Quand les enseignants utilisent les données, ils sont mieux à même d’adapter efficacement leurs interventions pour satisfaire les besoins des élèves. Ils apprennent ce qui marche et peuvent changer ce qui ne marche pas. En facilitant l’émergence d’un jugement collectif et partagé, comme l’a fait cette cheffe d’établissement, le développement professionnel des enseignants permet de mieux prendre en compte les besoins des élèves et d’analyser plus finement l’étendue de leurs connaissances et compétences.