Récit d’une cheffe d’établissement

Publié le 09 novembre 2021

Partage d’expérience : deux années à l’écoute pour le changement.

Valérie Étéocle

Cheffe d’établissement depuis 2009

  • CPE de 1999-2009
  • Juriste de Formation (DEA de Droit)/Licence Sciences de l’Éducation
  • Principale du collège Jules Romains, Saint Julien Chapteuil, académie de Clermont-Ferrand
  • Animatrice du CLEE du Bassin du Puy en Velay
  • Secrétaire Départementale du SNPDEN de Haute-Loire
Portrait de Valérie Étéocle

Un diagnostic pour l’élaboration d’une stratégie d’amélioration de l’organisation scolaire

L’arrivée dans un établissement scolaire provoque certes, un sentiment d’angoisse, mais également une forme de stimulation : angoissant, dans la mesure où tous nos repères sont à reconstruire et stimulant, parce que justement tout est à reconstruire.
Dès les premiers mois, il faut s’obliger à ne pas comparer son ancien poste avec le nouveau pour s’efforcer de repérer les points forts et les points à améliorer du nouveau.
Malgré un contexte d’apprentissage d’apparence très positif avec tous les indicateurs au vert (taux de réussite aux différents examens DNB, CFG, une "vie scolaire" performante avec peu d’exclusions temporaires et encore moins définitives, un très faible turn-over enseignant et un contexte socio-économique favorable), j’ai eu très vite un ressenti particulier.

Cette situation d’apparence idyllique allait-elle me réserver des surprises ? L’écoute des premiers échanges en salle des professeurs comme lors des premiers conseils de classe a été révélatrice. Les équipes pédagogiques du collège, où je venais d’être nommée après un prédécesseur ayant exercé durant sept années, recherchaient sans cesse l’excellence pour leurs élèves. Tout à leur honneur somme toute mais quid des élèves avec un profil moyen ou "moyen-moins" sans parler de ceux rencontrant des difficultés d’apprentissage ?
J’observais que les évaluations sanctions et sommatives, avec l’attribution de 0 pour travaux non rendus, supplantaient celles plus formatives ; que les mentions honorifiques de fin de trimestre étaient principalement attribuées sur la base des chiffres et donnaient lieu à débat entre des Encouragements et des Félicitations pour une moyenne générale à 15,5.

Dès la première année, je me suis attelée à écouter, entendre les arguments, exposer de manière parcimonieuse mes propres réflexions sur le contexte d’apprentissage, élément fondamental à mon sens.
J’ai alors commencé à ressentir, et je dis bien ressentir, à savoir percevoir des prémices de controverses entre les enseignants.
Quelle stratégie pouvais-je mettre en place pour encore améliorer ce contexte sans que les principaux acteurs, les enseignants, se sentent mis en cause dans leur professionnalisme ?

Au-delà du pilotage de l’établissement scolaire par ses instances : mobiliser, communiquer, persuader

Avant d’engager une action directe, j’ai opté pour la mise en place concrète de différentes actions. Étant convaincue que le contexte dans lequel nous œuvrons est fondamental pour apprécier son travail, j’ai décidé de réaliser différents petits projets prenant en compte tous les acteurs, des élèves aux enseignants en passant par les agents eux-mêmes.
Forte d’un chef-cuisinier très attaché à son métier et surtout soucieux de tout mettre en place pour que les élèves passent un bon moment au self, j’ai utilisé un projet porté par le Département de la Haute-Loire sur le "Manger bio et local" pour impulser le bien-être au collège. Je n’ai pas souhaité présenter cette démarche comme moralisatrice en faisant du gaspillage alimentaire une culpabilisation de chacun mais au contraire présenter le bien manger comme un élément important dans la vie des élèves au cours de leur journée de collégiens et ainsi associer très concrètement les agents à la démarche pédagogique. L’adhésion de tous a été très rapide et enjouée.

La communication du bien-être pour tous au collège a pu alors démarrer sous la triple impulsion du conseil d’administration, du conseil pédagogique et de la presse.

Dès lors, sous le couvert de cet intitulé, un travail sur le poids des cartables a été engagé avec différentes pesées, achat de double jeu de manuels scolaires et adaptation des fournitures scolaires. La refonte de la salle des professeurs a également été réalisée avec la venue d’une décoratrice d’intérieur et ainsi la participation des enseignants au choix des matériaux, matériels, couleurs.
Le préau des élèves a été décoré par leurs soins avec une professionnelle en arts plastiques et la salle d’activités a été restructurée par un street designer.
Ainsi à la fin de ma première année, au cours de la réunion plénière de fin juin, j’ai repris comme à l’habitude dans cet établissement la multitude de statistiques présentées pour témoigner de l’excellence du travail pédagogique accompli mais j’ai apporté mes propres interprétations sans omettre de garder en fil d’Ariane le bien-être au collège. J’ai notamment présenté par classe, et non de manière globale, les moyennes générales des élèves rapportées aux mentions attribuées, et ce, sur les trois trimestres.

Ce pari était risqué : soit l’équipe pédagogique comprenait ma démarche, non triviale mais construite à partir d’éléments chiffrés, soit les enseignants se retournaient contre moi, estimant que j’étais trop intrusive dans leur pédagogie.
La présentation des statistiques était sans appel, la conclusion était rude, mais je n’ai eu besoin ni de la dire ni de l’écrire, ils m’ont immédiatement énoncé eux-mêmes la sentence fatidique : les mentions ne correspondaient nullement à la valeur réelle des élèves. Un soulagement extrême m’envahit alors.
C’est à cet instant précis que j’ai conforté ma stratégie. Bien que leurs réactions demeurent vives et non unanimes, j’ai quand même tenté la proposition de supprimer les mentions. Aucun consensus n’a pu être trouvé, un vote a même été sollicité.
De mon côté, qu’à cela ne tienne, mon objectif était désormais fixé : les résultats sont excellents pour les élèves excellents, maintenant œuvrons pour que tous les élèves trouvent leur place dans ce contexte d’apprentissage favorable.

D’un questionnement à une réflexion collective pour mettre en œuvre la stratégie

Comment un chef d’établissement peut-il bien agir sur la pédagogie de ses équipes alors que ces derniers sont "adulés" par la majorité des parents d’élèves qui, comme eux, attendent de leurs propres enfants uniquement l’excellence ?

Il faut savoir raison garder et surtout ne pas se prétendre "prédicateur pédagogique suprême".

J’ai alors fait appel au corps des IA-IPR pour amorcer la réflexion pédagogique notamment sur la place de la notation dans le milieu scolaire, la fameuse "constante macabre", en banalisant une demi-journée.

Le résultat escompté n’a pas été au rendez-vous. Une bonne majorité de collègues n’ont pas adhéré au discours présenté estimant que la note est le seul bâton qui fait avancer l’élève. J’avoue avoir été découragée certes mais pas étonnée par ce type de commentaires. En revanche, quelques collègues sont venus à ma rencontre pour exprimer leur mal-être. En effet, ils prenaient conscience que leur pédagogie nécessite des évolutions mais ils avouaient en même temps leur peur, ne sachant pas comment faire pour évoluer vers une évaluation par compétences.

Cette première stratégie n’ayant fait que peu d’adeptes au sein de la salle des professeurs mais ayant quand même provoqué des échanges intéressants entre eux, il fallait que j’adapte ma stratégie.

Cette impulsion avait provoqué chez certains la volonté de se questionner. De plus en plus de collègues m’interpellaient en me soumettant leurs doutes, leurs interrogations, leur bonne volonté mais leur impuissance à oser agir.

Alimenter et soutenir la réflexion collective comme apprentissage professionnel et organisationnel   

Ma deuxième approche portait sur l’apport des neurosciences pour les apprentissages. J’ai à nouveau banalisé une demi-journée en invitant à nouveau une des trois IA-IPR, Madame Jouannet, avec qui l’équipe pédagogique avait noué de bons contacts. Comment pouvais-je apporter mon aide à ces enseignants volontaires mais démunis ? Comment mettre en place un projet qui puisse leur être rapidement utile dans leur pratique et ne consiste pas juste en des apports théoriques supplémentaires ?
Je me suis alors moi-même documentée sur les recherches neuroscientifiques, j’ai lu un certain nombre d’ouvrages, visionné des conférences, etc.
La compréhension du fonctionnement du cerveau face aux méthodes d’apprentissage était désormais ce que je souhaitais transmettre à l’équipe pour qu’ils puissent eux-mêmes s’en emparer dans leur pratique, à leur rythme, à leur niveau, suivant leur volonté.
Mme Jouannet et moi-même avons alors élaboré un second temps de travail et notre pilotage du projet. Son expérience et ses retours de différents essais ont été des éléments fondamentaux.
À cette seconde réunion provoquée, plus de la moitié des 30 enseignants étaient présents. Des échanges très pratico-pratiques ont fait l’objet de cette rencontre puis une proposition de réflexions personnelles a conclu cette première étape. Mme Jouannet a donné différentes références bibliographiques, de mon côté j’ai proposé des lectures avec prêt de mes propres livres. À l’issue de la réunion, plusieurs enseignants sont venus m’emprunter mes livres, solliciter Mme Jouannet pour obtenir directement par courriel personnel des informations complémentaires. L’objectif était posé, la prochaine réunion devrait définir si nous mettions en place un projet expérimental, nommé très simplement "Projet Neurosciences".
Le temps laissé aux collègues entre les deux réunions leur a permis de se documenter, d’échanger entre eux mais également avec moi-même, voire de réaliser quelques essais en classe inspirés d’Éric Gaspar et de son ouvrage, Explose ton score au collège. Le projet a pris forme de manière informelle, toujours sous le couvert du Bien-être au collège : le projet Neurosciences commençait à se dessiner.
L’ouverture de la deuxième réunion de travail s’est alors faite en présence de 25 enseignants sur 30 ainsi que les CPE, infirmière scolaire, et PsyEN.

S’appuyer sur l’expertise individuelle et collective en construisant une confiance mutuelle

Nous n’étions alors plus dans la méfiance mais sur comment faire pour aider nos élèves ? Nous ne risquions rien à expérimenter dès la rentrée prochaine… Nous avons alors construit ensemble un programme de formation des élèves de 6e sur deux jours dès la première semaine du mois de septembre. Les enseignants n’avaient plus qu’une envie, leur transmettre ce qu’ils venaient d’apprendre sur le fonctionnement du cerveau. Sur leurs propositions, nous avons mis en place un tutorat adulte/élève, créé des SAS (respiration/lecture) et réalisé un Passeport du cerveau.
Je me suis positionnée comme une simple aide pratique : "Exprimez vos idées, je vous propose de les mettre en place concrètement".
Il s’ensuivit une année scolaire riche d’expériences mais je craignais que les bonnes volontés s’essoufflent. Comment continuer à les aider à améliorer leur pédagogie ?
J’ai alors soumis notre expérimentation dans le cadre d’un projet Cardie pour deux raisons simples. Leur dévouement méritait amplement d’être connu de nos autorités académiques et ce projet Cardie définissait deux, voire trois responsables. Désormais, ces trois collègues devenaient des référents faisant facilement le lien avec les autres membres de l’équipe pédagogique.
La rédaction de ce projet Cardie m’obligeait à penser la suite… jusqu’au jour où mon psy-EN est arrivé dans mon bureau en m’expliquant qu’il avait assisté à une conférence exceptionnelle menée par Grégoire Borst , professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation. Ce scientifique lui étant apparu très abordable, il me proposa de le contacter par mail pour que je puisse lui exposer notre expérimentation.
Le 10 avril 2019, nous accueillons donc dans notre modeste établissement Grégoire Borst en personne, pour échanger directement avec les collègues. La seule contrepartie demandée par Grégoire avait été de mettre en place une conférence d’une envergure départementale, ce qui a été immédiatement accepté par M. Semeraro, IA-DASEN 43 en poste. Ainsi collègues enseignants du 1er degré et du 2nd degré, infirmières scolaires, psy-EN sur la base du volontariat de la Haute-Loire ont pu assister à une conférence de Grégoire Borst, échanger directement avec lui… Plus d’une centaine de personnes étaient au rendez-vous.
Le projet Neurosciences du collège venait d’ancrer toute sa légitimité. Le projet Bien-être pour tous au collège a donné lieu à la formulation suivante du projet Neurosciences : "Comment faire réussir tous les élèves au collège ? Comment créer et maintenir de la motivation" ?
L’Académie de Clermont-Ferrand avec la Fabrique des Ateliers Académiques ayant de fait un lien étroit avec le LAPSCO , Laboratoire de psychologie sociale et cognitive, quelques collègues volontaires et enjoués par la poursuite de leur réflexion avec la recherche ont adhéré à l’idée d’intégrer la Fabrique des Ateliers Académiques. Et non seulement quelques collègues du collège mais également quelques collègues de deux établissements géographiquement voisins qui, suite à la conférence de Grégoire Borst, m’ont contactée en ce sens.

Soutenir le développement professionnel, la dynamisation des équipes et tirer parti des accompagnements externes

Alors que le projet se déroule avec des ajustements d’année en année émanant directement des équipes, qu’une formation interne se réalise pour les enseignants qui le souhaitent sur les techniques de relaxation, que moi-même je continue ma quête d’information sur le bien-être en suivant une formation dispensée par l’IREPS sur le développement des compétences psycho-sociales, nous assistons avec un petit groupe de collègues à la première réunion de la Fabrique des Ateliers Académiques en octobre 2019.
Conférences, échanges avec les chercheurs continuent de dynamiser mes équipes. Afin de ne pas se perdre dans trop d’expérimentations et, du coup, risquer de démotiver certains, je leur propose de scinder le groupe entre ceux qui souhaitent davantage travailler sur la pédagogie et les apprentissages du cerveau et ceux qui souhaitent ajouter à leur réflexion le développement des compétences psychosociales, le tout sous le couvert de l’École promotrice de la santé. L’adhésion est immédiate.
Novembre 2019, ma formatrice de l’IREPS accepte de rencontrer les enseignants volontaires pour réaliser une formation sur les CPS auprès d’eux, j’y adjoins en soirée les parents d’élèves.
La journée s’achève avec la réalisation d’un tableau synoptique reprenant toutes les actions déjà menées dans l’établissement, sources de développement des CPS, la mise en place d’un conseil pédagogique spécifique pour la restitution de la formation La Fabrique des Ateliers Académiques et la présentation du projet Développement des compétences psychosociales, le tout impulsé et animé directement par les collègues. La conclusion des collègues impliqués est sans appel : l’approche neuroscientifiques est fondamentale dans la compréhension de notre pédagogie, mais sans la prise en compte du contexte dans lequel évolue l’élève, toutes nos tentatives seront réduites à néant. Un partenariat avec l’Ontario est lancé, une première rencontre se met en place puis…
Le 17 mars 2020, la pandémie stoppe le cours normal de toute chose… Pour autant, ce travail sur le bien-être de tous n’a pas été vain. Face à cet épisode autant inattendu que psychologiquement impactant, nous avons régulièrement fait appel à ces notions pour passer le cap. Les collègues ont fait preuve d’une grande réactivité pour ne pas générer trop d’angoisse auprès des élèves et leur famille, ils ont osé échanger sur leurs pratiques, leurs outils, etc.
Nous avons accueilli au retour in situ entre 75 et 80 % de nos élèves. Nous avons mis en place des ateliers de paroles animés par l’infirmière scolaire et le psy-EN à l’aide du jeu Feelings pour aider les élèves à exprimer leurs émotions.
Le projet Neurosciences, Bien-être au collège, Développement des compétences psychosociales dépassent largement les murs du collège : un projet territorial en partenariat étroit avec l’IREPS devrait voir le jour l’année prochaine.
Nous devons sans relâche faire preuve d’adaptation. Le confinement doit être une étape pour affiner notre approche de la pédagogie. Le rôle de l’être humain est un vecteur indispensable, qu’il soit en présentiel ou à distance, les mots – les encouragements –, la confiance ne pourront jamais être remplacés par les écrans. Les élèves eux-mêmes ont été étonnés de leur engouement à revenir dans l’établissement pour revoir leurs camarades mais aussi leurs enseignants…
Merci à cette belle équipe, plus que pédagogique, réellement éducative, allant de l’agent territorial aux professeurs certifiés, en passant par les CPE, infirmière scolaire, assistante sociale, psy-EN et tous les personnels administratifs, ainsi que toutes ces personnalités extérieures sans qui le projet ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

 

1 - Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, directeur-adjoint de la PsyDE – CNRS et membre junior de l’IUF.
2 -  LABSCO, Laboratoire de psychologie sociale et cognitive, UMR – 6024, UCA, CNRS.