Accompagner le changement

Publié le 09 novembre 2021

Animer les projets et les collectifs : les vertus de "l’ami critique"

Romuald Normand

Chercheur sur la comparaison des systèmes éducatifs et des organisations scolaires
section 19 du Conseil National des Universités (sociologie, démographie).

Romuald Normand accompagne depuis plusieurs années des équipes pédagogiques, des formateurs et des cadres de l'Éducation nationale dans des démarches d'innovation et d'expérimentation. Auteur prolifique, il a publié avec François Muller en 2013 "La grande transformation" où il appelle à plus d’autonomie et d’émancipation des unités éducatives pour permettre le développement professionnel des acteurs, en particulier pour les apprentissages collectifs.
On peut citer également ses activités européennes et internationales centrées sur l’étude du leadership en éducation. 

 

Portrait de Romuald Normand

 

Opter sans réserve pour une démarche adaptative

Le changement est dépendant de contextes et de temporalités qui déjouent les envies de piloter exclusivement à partir d’un plan établi à l’avance. L’auto-évaluation ne joue pas obligatoirement sur une seule temporalité mais peut engager des chantiers sur des horizons multiples :

  • l’analyse des résultats des élèves lors des années précédentes en septembre ;
  • l’exploitation des indicateurs de valeur ajoutée de l’établissement ;
  • la mobilisation de temps collectifs pour le développement d’observations de classe et l’analyse des possibilités d’amélioration,
  • la fixation d’objectifs spécifiques envers les élèves, l’analyse en continu de leurs progrès, l’entretien régulier avec les élèves pour voir où ils en sont ;
  • la définition des modalités d’accompagnement des élèves et des enseignants.

Il paraît aussi important d’avoir, bien plus qu’un résultat défini a priori et des jalons à franchir coûte que coûte, une disposition à articuler des inflexions à court-terme et un horizon général à long-terme, une capacité à tenir compte des situations complexes, des problèmes qui feraient irruption et des possibilités de résolution, des moyens d’accompagner les initiatives et les transformations à venir. Cela nécessite aussi un travail de communication de l’équipe de direction pour expliquer les enjeux, préciser les modalités d’accompagnement, rassurer sur le changement, construire la confiance. La théorie du changement que cela recouvre n’est pas fixe mais évolue en fonction des développements de la démarche d’auto-évaluation et des actions menées par la communauté scolaire.

Aider les équipes pédagogiques dans leur travail d’auto-évaluation

L’auto-évaluation est, par définition, une production des unités éducatives elles-mêmes, mais cela n’implique pas qu’elles devraient obligatoirement disposer des ressources suffisantes pour mener à bien l’ensemble des opérations. Elles ont souvent besoin d’une aide extérieure, d’un accompagnement qui leur apporte une critique constructive. C’est le rôle qu’il convient de donner à "l’ami critique", qui, dans les faits, prend des formes variables selon les liens qu’il tisse, dans différentes phases, avec les membres de l’unité éducative. Une fois de plus, ces phases ne répondent à aucun schéma a priori mais peuvent s’inverser en fonction du contexte local. L’auto-évaluation est un processus dynamique, auto-entretenu, qui ne saurait se réduire à l’adoption d’un cadre formaliste parce que beaucoup de choses informelles se nouent dans la relation de "l’ami critique" aux équipes pédagogiques.
 

Le changement dans l’action : quelques leviers stratégiques entre pilotage et accompagnement

Le changement induit par la démarche d’auto-évaluation et le positionnement de "l’ami critique" concernent à la fois l’amélioration de la réussite des élèves et le renforcement des compétences collectives dans l’établissement. La compréhension du travail individuel s’inscrit dans une réflexion au sein d’une communauté de pratiques pour laquelle les membres partagent une vision commune et une volonté d’apprentissage professionnel tournée vers l’expérimentation d’activités nouvelles.

Ce qui importe à ce niveau est, quels que soient les thèmes traités (l’organisation scolaire dans son ensemble, telle discipline, la notation, etc.), la nature de l’approche : la plus ouverte possible à la négociation, flexible, combinant un cap à tenir et une adaptation à ce qui fait sens, à un moment donné, pour le collectif. Ce qui compte est de construire une dynamique collective, quitte à ce que le chemin soit moins direct que celui que l’on envisagerait en faisant l’économie de la discussion authentique. C’est ainsi que se construit une communauté professionnelle, pour laquelle l’enseignant développe un sentiment d’appartenance, possède une vision partagée, s’inscrit dans un travail collaboratif, et accepte conjointement d’assumer les effets de son travail.
Les communautés d’apprentissage professionnel permettent de profiter de l’expertise des collègues à travers des échanges formels ou informels (réunions, courriels, etc.) ou des expérimentations communes à travers lesquelles seront conçus et développés des outils et des connaissances spécifiques, qui vont permettre d’accompagner les activités d’enseignement et d’apprentissage dans les classes. Alors que les enseignants qui débutent dans les établissements difficiles sont souvent confrontés à une limitation de l’accès aux ressources et à l’expertise, les communautés d’apprentissage professionnel permettent aussi de construire des liens entre enseignants novices et enseignants plus expérimentés.
Cependant, gardons-nous d’une vision angélique de l’accompagnement. Le changement qu’il vise déstabilise des intérêts, des façons de faire installées (souvent, du reste, à juste titre) au fil du temps. Il renforce l’incertitude et accroît la complexité. Il fait surgir des problèmes pratiques en termes de coordination de l’action, de mobilisation des compétences, de conflits inter-individuels. Ces problèmes - qui ne viennent pas seulement des personnes mais du changement lui-même et des procédures et des dispositifs sur lesquels il s’appuie - ne trouvent de solutions efficaces qu’en persévérant à s’y confronter collectivement pour dégager une créativité et une innovation au sein même de l’organisation scolaire. Trop souvent, ces problèmes sont ignorés, déniés, ou utilisés comme moyen de se défendre ou de critiquer.

La réussite de l’auto-évaluation et de l’accompagnement par un ami critique dépend de la manière dont ces problèmes seront pris en compte et acceptés comme partie intégrante de la solution et non comme une résistance ou une ignorance des personnes. Ces problèmes vont des atermoiements, du confort des habitudes, d’une pression supplémentaire sur le travail, à des enjeux de formation, d’organisation pédagogique, de construction de compétences collectives : quand les établissements ne vont pas au fond des choses (en en restant à la première catégorie de problèmes), il y a peu de place pour l’accompagnement. L’accompagnement ne trouve guère d’alliés dans la passivité, le déni, l’évitement, les habitudes, mais plutôt dans une approche de l’auto-évaluation où la direction de l’établissement est la première à se montrer disposée à aller à la racine des problèmes pour faire jouer les capacités du collectif à se rendre actif, assuré, inventif. Cela marche mieux pour les unités éducatives qui acceptent de placer la démarche au sein du conseil pédagogique ou du conseil d’école.