Photo élève avec un casque de réalité virtuelle intelligence artificielle numérique classe

L'intelligence artificielle générative dans l'éducation : défis et opportunités pour les enseignants, élèves ou parents. Entretien flash avec Yannig Raffenel

Publié le 29 juin 2023

Dans cet entretien, à travers deux exemples complémentaires, Yannig Raffenel, Expert Digital Learning et en Ingénierie de dispositifs Blended Learning, illustre la question des rapports entre les jeunes et les outils numériques et la question de l'éducation aux médias. Le premier exemple s’intéresse à l’arrivée des I.A génératives et le second traite du rapport entre les usages et les outils proposés par les EdTech.

 

Entretien réalisé le 23 juin 2023 par Ludovic Quelin, auditeur de la promotion 2022-2023.

picto dialogue Comment l'arrivée massive de l'IA générative impacte-t-elle les pratiques des enseignants et des apprenants, et quels sont les enjeux liés à son utilisation dans le domaine de l'éducation ?

Yannig Raffenel : Je souhaite illustrer les rapports entre les jeunes et les outils numériques ainsi que la question de l'éducation aux médias à travers deux exemples.
Le premier exemple concerne l'arrivée massive de l'IA générative, largement médiatisée depuis novembre 2022. Cette utilisation de l'IA générative a suscité des inquiétudes légitimes de la part des institutions et des enseignants, qui craignaient que cette technologie devienne un moyen infaillible pour les apprenants de simuler des connaissances et d'éviter l'apprentissage réel. Cela remet potentiellement en question les systèmes d'évaluation en place. En réponse à ces préoccupations, des solutions technologiques ont été recherchées pour contrer l'IA générative et les outils disponibles sur le marché, souvent gratuitement, qui pourraient être utilisés pour tromper et déjouer les systèmes d'évaluation. Cependant, plutôt que de s'opposer à ces utilisations, il est intéressant de se poser d'autres questions et de chercher à encadrer ces usages de manière positive. En effet, qu'il s'agisse de l'IA générative ou d'autres outils edtech, il n'y a pas d'outil intrinsèquement bon ou mauvais, mais il existe de bons ou de mauvais usages. La question essentielle pour les acteurs de l'éducation et de la formation est donc d'encadrer ces usages et de former toutes les parties prenantes à des utilisations pertinentes et bénéfiques. Comme l'a souligné Philippe Meirieu récemment, l'IA générative peut être un moyen destructeur du désir d'apprendre, en offrant des réponses immédiates sans effort. Or, l'apprentissage nécessite justement un travail d'appropriation des contenus pour les assimiler et les réutiliser. Ainsi, l'IA générative pourrait potentiellement entraver ces mécanismes. Cependant, il est possible de l'utiliser comme un accélérateur des apprentissages.
Prenons plusieurs exemples. Pour les enseignants, l'IA générative peut être utilisée pour déléguer la production de divers éléments tels que des fiches de synthèse, des supports de cours, des exemples et des analogies. Ces ressources peuvent servir de support lors des cours. L'IA générative peut également être utilisée pour fournir un retour d'information précis sur les travaux des élèves, en identifiant leurs points forts, leurs faiblesses et les aspects à améliorer, de manière pratique et pertinente. Elle peut également être utilisée pour analyser globalement, au niveau d'une classe ou d'une cohorte, les notions comprises ou non, en synthétisant l'ensemble des productions des élèves.

picto dialogue Comment les élèves peuvent-ils apprendre à utiliser l'IA générative de manière responsable, en comprenant ses limites et en développant leur esprit critique ?

YB : Parlons maintenant des élèves, qui sont l'élément central. Comme tout outil, il est nécessaire d'apprendre à utiliser l'IA générative. Il est important de responsabiliser les élèves en les aidant à comprendre son fonctionnement, ses limites et ses biais. Par exemple, il est crucial de leur expliquer que l'IA générative peut construire, répéter et généraliser des points de vue basés sur des stéréotypes, qu'ils soient liés à la race, au genre ou même à la politique. Il est primordial de faire comprendre aux élèves que ce qui est produit par l'IA générative est uniquement une matière première qui doit impérativement être retravaillée, validée et triée, car elle peut comporter des erreurs, des hallucinations et d'autres éléments à éliminer.

Le principe de base est qu'il est strictement interdit d'utiliser un texte ou une autre production générée par l'IA sans prendre le temps de le valider, de le relire et de se l'approprier, car il s'agit simplement de matière première qui n'est pas valide ni utilisable en l'état, mais qui peut servir de base à être retravaillée. Ainsi, la deuxième règle est que lorsqu'on utilise du contenu généré par l'IA, il faut le sourcer. Les utilisateurs doivent être informés qu'il s'agit d'une production de l'IA générative, à laquelle on a apporté sa propre touche, sa personnalité, ses opinions, bref, tout ce qui lui confère de la valeur. Car ce qui est produit par l'IA générative n'est qu'une matière première industrielle, dénuée de goût, de saveur et d'odeur. C'est quelque chose qui fait le travail avec plus ou moins d'imperfections, mais qui ne doit pas être utilisé tel quel.

Enfin, je tiens à souligner que pour les enseignants qui peuvent gagner du temps grâce à l'IA générative pour préparer ou corriger leurs cours et les productions des élèves, cela ne vise en aucun cas à remplacer l'enseignant dans ce qu'il a d'essentiel. C'est une invitation, voire une incitation, à évoluer dans leurs approches pédagogiques afin de créer des activités qui permettent aux apprenants de développer leur esprit critique, ainsi que leurs compétences clés en communication, coopération et créativité. Toutes ces compétences ne seront jamais remplacées par l'IA générative. En libérant du temps sur les aspects de transmission des connaissances qui ne sont plus des tâches à valeur ajoutée pour un enseignant, cela lui permet de se concentrer sur la création d'activités pédagogiques d'appropriation par les apprenants, ainsi que sur l'accompagnement personnalisé de ceux qui rencontrent des difficultés. Ceux qui ont besoin d'une dimension humaine, relationnelle et émotionnelle, qui est également une valeur ajoutée essentielle de l'enseignant.

picto dialogue Comment peut-on accompagner les parents dans la compréhension et la gestion des usages numériques de leurs enfants, notamment en distinguant les usages addictifs des réseaux sociaux et les activités pédagogiques utilisant les outils edtech ?

YR : Un autre exemple important qui illustre la relation entre les usages et les outils concerne les technologies éducatives (edtech). Cet exemple met en évidence les attentes des familles, des équipes pédagogiques et des apprenants vis-à-vis des outils. Des efforts considérables sont déployés pour mettre en place des projets permettant à tous les acteurs, qu'il s'agisse des apprenants, des familles, des enseignants ou des structures périscolaires, parascolaires et scolaires, de bénéficier des meilleurs outils, dispositifs et matériels numériques pour des activités pédagogiques à forte valeur ajoutée.

Cependant, dans la réalité, nous sommes confrontés aujourd'hui à une levée de boucliers de la part des familles, voire des enseignants qui sont souvent également des parents. Ils expriment leur désarroi face à la difficulté de gérer le temps d'utilisation des outils numériques, en particulier des smartphones, par les élèves au sein des familles. Ce désarroi reflète leur incapacité à contrôler les utilisations des réseaux sociaux par leurs enfants et ils perçoivent cela comme une menace majeure. Ils constatent que leurs enfants sont déjà totalement accros aux écrans à la maison et craignent qu'ils passent encore plus de temps devant des écrans à l'école, au collège ou au lycée. En somme, ces parents ne font absolument pas la distinction entre une utilisation addictive des réseaux sociaux à la maison et une utilisation pédagogique des outils edtech dans le cadre des activités d'enseignement. Cela témoigne de la confusion totale et du désarroi ressenti par ces parents qui ne sont pas préparés à comprendre la différence entre une utilisation des réseaux sociaux et une activité pédagogique utilisant des outils edtech au collège, par exemple. De plus, ils ne réalisent pas que la plupart du temps, ce sont eux-mêmes qui servent de modèles en montrant à leurs enfants à quel point ils sont dépendants de ces écrans à la maison, et ils sont incapables de fixer des règles d'utilisation des réseaux sociaux en toute conscience. Il existe également des outils edtech qui pourraient aider les familles, mais il est clairement urgent de former les parents, de les soutenir au sein des établissements et de trouver des moyens, en collaboration avec les associations de parents d'élèves, pour les aider à mieux comprendre et gérer les usages des réseaux sociaux et des smartphones chez leurs enfants. L'objectif est de résoudre ce problème fondamental, afin d'éviter une vague d'opposition aux utilisations des edtech au sein des établissements, alors même que ces dispositifs sont déployés avec de bonnes intentions, en cherchant à tirer parti du meilleur du numérique tout en replaçant les enseignants au cœur de l'aspect humain.

Il est possible que ces dispositifs soient mal perçus s'il n'y a pas ce travail préalable avec les familles. Par conséquent, il est urgent d'agir en accompagnant les parents dans ces questions liées à l'utilisation du numérique. De plus, pour revenir à notre premier exemple, il est impératif de former de manière urgente les élèves aux usages de l'IA générative, afin qu'ils en comprennent les limites, développent leur esprit critique et puissent en faire des usages positifs et pertinents. Il en va de même pour les enseignants, afin qu'ils s'approprient ces éléments en toute conscience. Dans le cas contraire, ils risquent d'être dépassés par un raz-de-marée, car leurs élèves ne vont pas attendre que les enseignants soient formés et vont rapidement se saisir de ces outils. Ces deux axes de formation sont donc d'une importance fondamentale.

 

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