égalité fille-garçon

Promouvoir l'égalité filles-garçons : quels enjeux scolaires et sociétaux ? Entretien flash d'Édith Maruéjouls

Publié le 14 décembre 2022

Édith Maruéjouls est docteure en géographie et directrice générale de l’Atelier Recherche Observatoire Égalité (L'ARObE). Spécialiste des questions d’égalité dans l’espace urbain, elle accompagne également les établissements scolaires sur les questions d’égalité filles-garçons et d’aménagement des espaces scolaires tant au niveau des équipes éducatives, des élèves que des collectivités territoriales.
Elle a publié un ouvrage "Faire je(u) égal : penser les espaces à l’école pour inclure tous les enfants" aux éditions Double ponctuation.

Entretien réalisé par l'IH2EF en août 2022

picto dialogue Éduquer à l'égalité entre les filles et les garçons à l'École, un enjeu toujours aussi fort aujourd'hui ?  

Édith Maruéjouls : Dans les grands domaines qui permettent d’objectiver les inégalités femmes-hommes, peu d’évolutions marquantes sont à relever. Quelle que soit la situation sociale des femmes, elles subissent des violences, sont moins bien payées, ont encore une charge mentale bien supérieure aux hommes, etc. Si on ne prend qu’un exemple dans le domaine de l’éducation, celui de l’orientation scolaire : les choix d’orientation des élèves restent sexués et stéréotypés. Les filles s’orientent encore souvent vers les secteurs les moins porteurs. Par exemple, elles représentent 25 % des diplômées du numérique et seulement 17 % travaillent finalement dans ce secteur (1). De plus, à la sortie des études, elles gagnent en moyenne 10 % de moins que les garçons pour un diplôme équivalent (2).

picto dialogue S'appuyer sur un projet de restructuration des espaces de l'établissement peut-il susciter des dynamiques porteuses, en termes d'égalité entre filles et garçons ?

EM : Bien sûr, même si la question des espaces doit être abordée sous couvert des enjeux liés à l’égalité filles/garçons, le risque est grand d’aménager sans créer de mixité, sans s’attaquer au cœur du système de genre qui instaure l’inégale valeur du groupe social des filles et qui produit la construction d’une norme de la masculinité violente, également pour les garçons entre eux.

Le postulat de base que j’utilise dans mon travail est que l’absence de relations entre les filles et les garçons (ne pas jouer ensemble, ne pas partager d’activités, ne pas être amis, ne pas manger ensemble, etc.) fait le terreau des violences. Il s’agit alors de penser les espaces en réhabilitant les filles (et les garçons qui ne se retrouvent pas dans les codes de la virilité traditionnelle et/ou de l’hétéronormativité), en légitimant leur présence et leur égale valeur. Mais il s’agit aussi de prévenir les agressions, dont le harcèlement scolaire, en travaillant sur leur construction. Il faut aménager, amener à la mixité et concevoir des espaces de bienveillance collective.

picto dialogue Plus globalement, existe-t-il des établissements où, concrètement, on réussit à créer de l'égalité ? Comment s'y prennent ces établissements ?

EM : L'ARoBe travaille sur une méthodologie éprouvée et mobilise des compétences scientifiques sur l’approche égalitaire des espaces. À l’image de la construction des rapports sociaux de sexe et de genre dans une société, la construction d’un bâtiment, sa structure même, peut enclencher des changements sociaux ou produire des modes d’organisation inégaux entre les filles et les garçons (puis, plus tard, entre les femmes et les hommes). C’est tout l’enjeu : impulser le changement, notamment en s’appuyant sur les constats et les effets du bâti, relevés lors de l’analyse de la construction des établissements scolaires. On agit ainsi à la fois sur l’organisation et l’aménagement des espaces mais également sur le projet d’établissement et la mobilisation des compétences professionnelles.

picto dialogue Promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons est un enjeu scolaire, mais aussi social et sociétal. En quoi les cadres de l'éducation nationale peuvent-ils y contribuer ?

EM : L’erreur souvent commise est de penser que faire égalité c’est finalement ne pas discriminer. En réalité cela demande un projet collectif et de s’entendre sur les objectifs et les enjeux liés à la relation fille(s)-garçon(s). C’est une démarche itérative qui appelle à la mobilisation de tous les professionnels de l’établissement, notamment celle des cadres qui ont un rôle majeur pour l’impulsion et la conduite du changement ainsi que pour l’évaluation des actions menées. Finalement, je suis assez surprise que plus de débats ne soient pas menés. Lorsque j’interviens en classe, je m’aperçois que les jeunes ont besoin de s’exprimer, que la question de la relation entre les filles et les garçons est peu abordée directement. La notion d’amitié par exemple révèle la complexité de la perméabilité des groupes sociaux de sexe. Même s’il y a parfois des initiatives, elles restent confidentielles et ont peu d’effets sur l’ensemble de la communauté d’élèves.

Le second biais est de penser que faire égalité ne s’inscrit pas dans une démarche experte et scientifique. Les décrets, pourtant nombreux, ne suffisent pas à rendre possible l’égale liberté des filles et des garçons dans l’espace social de l’école. L’exemple le plus frappant pour moi est celui des injonctions relatives à la tenue vestimentaire (des filles) dans les règlements intérieurs. C’est typiquement le reflet de la (re)production d’un système sexiste de génération en génération. Il est par ailleurs encore difficile de concevoir la mixité aux toilettes, qui sous-tend la question du respect de l’intimité, quel que soit le sexe.

La vie quotidienne dans une école, puis au collège, peut s’envisager comme un micro-espace social dans lequel les interactions filles-garçons mettent en scène de la négociation, du renoncement, des revendications et des lieux d’expression publics. Pouvoir être au centre de la cour ou avoir une visibilité accrue, c’est prendre une place dans l’espace citoyen. Il s’agit de questionner la légitimité des filles et des "sujets de filles" dans l’espace "du dehors". Enfin, il faut travailler à une relation filles-garçons moins codifiée et plus apaisée, ce qui aura aussi des effets plus globaux sur le "vivre ensemble" et le climat scolaire.
Cette question ne doit pas se dissoudre dans les autres, ce n’est pas une thématique à part, mais un projet à intégrer dans les actions éducatives du projet d’école ou d’établissement. Je serais ravie de constater que les initiatives prises en faveur de l’égalité filles-garçons soient pérennisées d’une année sur l’autre. Il ne s’agit pas de refaire, il s’agit d’avancer. La labellisation des établissements récemment mise en place peut y contribuer.
 

(1) Gender Scan France dans l'innovation 2022

(2) Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur. MENJ, 2020, p. 34-35.